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TROYLUS ET CRESSIDA, BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN, ETC.

maison de campagne qui leur appartenait et qu’ils n’avaient pas encore visitée. Parmi les gentlemen du voisinage qui vinrent pour la voir, était un M. Fox, un célibataire, qui était fort agréable aux deux frères et surtout à la sœur. Il avait coutume de dîner avec eux, et il invitait souvent lady Mary à venir le voir. Un jour que ses frères étaient absents, elle résolut d’y aller, et partît sans être accompagnée. Quand elle arriva à la maison, elle frappa à la porte ; personne ne répondit. À la fin, elle ouvrit elle-même et entra. Au-dessus du portail de l’avant-salle était écrit : De l’audace ! de l’audace ! mais pas trop d’audace ! Elle avança : au-dessus de l’escalier, même inscription. Elle monta. Au-dessus de l’entrée de la galerie, même inscription. Elle continua de marcher : au-dessus de la porte d’une chambre, elle lut : De l’audace ! de l’audace ! mais pas trop d’audace ! de peur que le sang de votre cœur ne se glace ! Elle ouvrit : la chambre était pleine de squelettes et de tonneaux remplis de sang. Elle revint vite sur ses pas. En descendant l’escalier, elle aperçut, par une fenêtre, M. Fox, qui se précipitait dans la maison, brandissant d’une main un sabre nu, et de l’autre traînant une jeune femme par les cheveux. Lady Mary eut juste le temps de se glisser et de se cacher sous l’escalier avant que M. Fox et sa victime arrivassent pour le gravir. Comme il traînait la jeune femme, celle-ci s’accrocha à la balustrade avec sa main qu’entourait un riche bracelet. M. Fox la lui trancha d’un coup de sabre : la main et le bracelet tombèrent dans la robe de lady Mary, qui alors parvint à s’échapper sans être observée, et revint chez elle saine et sauve.

Quelques jours plus tard, M. Fox vint dîner avec eux comme de coutume. Après le repas, les convives s’amusèrent à raconter des aventures extraordinaires, et lady Mary finit par dire qu’elle raconterait un rêve remarquable qu’elle avait fait récemment. J’ai rêvé, dit-elle, que, comme vous, monsieur Fox, m’aviez souvent invitée à aller vous voir, je m’étais rendue chez vous un matin. Arrivée à la maison, je frappai ; personne ne répondit. Quand j’ouvris la porte, je vis écrit au-dessus l’avant-salle : De l’audace ! de l’audace ! mais pas trop d’audace ! Mais, se hâta-t-elle d’ajouter, en se tournant vers M. Fox et en souriant : Ce n’est pas vrai, ce n’était pas vrai. Et elle poursuivit le reste de son histoire, en terminant chaque phrase par : Ce n’est pas vrai, ce n’était pas vrai. Enfin, quand elle en fut venue à la chambre pleine de cadavres, M. Fox l’interrompit en s’écriant : Ce n’est pas vrai, ce n’était pas vrai, à Dieu ne plaise que ce soit vrai ! Et il continua de répéter cela après chaque phrase du récit, jusqu’au moment où elle parla de la main de la jeune dame.