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LES JALOUX.

dosto avait encore des sentiments trop religieux pour contester la justice d’un arrêt divin ; il n’hésite donc pas à demander pardon publiquement à Bellaria, et lui promet à l’avenir d’être le modèle des époux. Mais à peine a-t-il ainsi témoigné son repentir et sa soumission aux dieux, qu’un messager accourt et lui annonce la mort soudaine de son fils Garinter. À cette brusque nouvelle, la reine tombe à la renverse ; on s’empresse autour d’elle, on essaie de la faire revenir à elle, mais vainement : elle n’est pas évanouie, elle est morte ! Ainsi, c’est par la perte de toute sa famille que le roi de Bohême est puni d’avoir trouvé étrange que sa femme s’enfermât souvent dans la chambre à coucher d’un jeune homme, et d’avoir ainsi conçu des soupçons dont il s’est repenti aussitôt que la vérité lui a été révélée. Il faut avouer que la punition est passablement sévère. Pourtant le malheureux roi n’est pas au bout de ses tribulations.

Le lecteur a déjà deviné que l’enfant, exposée sur les flots par ordre de Pandosto, n’était pas morte. Elle avait été recueillie sur la côte de Sicile, dans le pays même où régnait Egistus, son père supposé, par un vieux berger appelé Porrus, lequel s’était chargé de son éducation et l’avait élevée, sous le nom de Fawnia, à soigner les troupeaux. Seize années se sont ainsi écoulées, pendant lesquelles Pandosto a gardé les Bohémiens, Egistus les Siciliens, et Fawnia les moutons. L’enfant est devenue la plus jolie bergère de toute la Sicile, et le bruit de sa beauté s’est répandu jusqu’à la cour. Comme de juste, le prince Dorastus, fils du roi, l’ayant rencontrée au milieu d’une partie de chasse, a conçu pour elle un amour violent, et veut à toute force l’épouser, malgré la volonté de son père, qui le destine à une princesse de Danemark. Les deux amants conviennent de s’échapper,