Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 4.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
LES JALOUX.

Timbrée de Cardone devint amoureux à Messine de Fénicie Leonati et les divers et étranges accidents qui advinrent avant qu’il l’épousât[1]. Cette nouvelle raconte bien plusieurs faits analogues à ceux que la comédie met en scène. Comme Claudio, Timbrée de Cardone, favori du roi Pierre Aragon, s’éprend de la fille d’un gentilhomme de Messine et la demande en mariage ; comme Claudio, il est dupe d’une affreuse illusion, et s’imagine voir un homme pénétrer de nuit chez sa fiancée ; comme Claudio, il se croit trompé par celle qu’il aimait et il l’outrage publiquement et il refuse de l’épouser ; comme Héro, Fénicie tombe défaillante sous le coup imprévu de cette diffamation ; comme Héro, elle passe pour morte, et, après une longue réclusion, elle sort de sa tombe supposée pour épouser son amant détrompé et repenti. Mais là s’arrêtent les ressemblances. Par la conduite même de l’intrigue la comédie diffère entièrement du roman. Dans l’œuvre italienne, vous chercheriez en vain cette scène si dramatique où le fiancé renie sa fiancée devant l’autel même au pied duquel ils devaient être unis pour jamais ; c’est par un tiers, dépêché tout exprès, que Timbrée fait savoir à Léonato qu’il ait à trouver un autre mari pour sa fille. Dans la nouvelle italienne, c’est Girondo, un ami intime du fiancé, qui diffame la fiancée ; et pourtant cet ami finit par épouser la sœur même de celle qu’il a si impudemment calomniée. Avec son tact supérieur, le poëte anglais a compris l’absurdité morale d’une pareille conclusion, et il a attribué le complot ourdi contre l’héroïne, non à un ami, mais à un ennemi de Claudio, à cet infâme don Juan, qui joue dans la comédie le même rôle que Iachimo, dans Cymbeline, et Iago, dans Othello. Chez Bandello, le denoûment est

  1. Voir cette nouvelle à l’Appendice.