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LE CONTE D’HIVER.
perdue, oui, je sens qu’elle m’a échappé, — mais j’ignore comment. Ma seconde joie, — le premier né de mes entrailles, on me refuse — sa présence, comme à une pestiférée ! Ma troisième consolation, — venue au monde sous la plus funeste étoile, ma fille, la voilà, — le lait innocent encore humide sur ses lèvres innocentes, — traînée de mon sein à la mort ! Moi-même à tous les poteaux, — je suis proclamée prostituée ! Une indécente haine — me refuse les priviléges d’une accouchée, qui appartiennent — aux femmes de tout rang, et me voilà, enfin, jetée — ici, à cette place, en plein air, avant — d’avoir repris mes forces. Maintenant, monseigneur, — dites-moi quelles félicités j’ai dans cette vie, — qui doivent me faire craindre de mourir ? Poursuivez donc ; mais écoutez encore ceci : Ne me méjugez pas !… La vie, non, — je ne l’évalue pas à un fétu ; mais, mon honneur, — je veux le justifier ! Si je suis condamnée — sur des soupçons, sans autres preuves — que celles qu’éveille votre jalousie, je vous dis — que c’est rigueur, et non justice…
Aux assesseurs.

Toutes vos seigneuries m’entendent, — je m’en réfère à l’oracle : — qu’Apollon soit mon juge !

PREMIER SEIGNEUR, à Hermione.

Votre requête — est parfaitement juste… En conséquence, — au nom d’Apollon, qu’on produise son oracle !

Quelques officiers de la cour sortent.
HERMIONE.

— L’empereur de Russie était mon père. — Oh ! que n’est-il vivant, pour assister ici — au procès de sa fille ! Que ne peut-il voir seulement — la profondeur de ma misère, avec les yeux, — non de la vengeance, mais de la pitié !

Les officiers reviennent, suivis de Cléomène et de Dion.