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INTRODUCTION.

du comte ! En présence de dépositions si imposantes, qui oserait absoudre Héro ? La fille du gouverneur de Messine n’est qu’une prostituée, et son père lui-même, son père qui en raffole, la condamne. Eh bien, le roi d’Aragon se trompe, don Juan ment, Claudio est dupe, le Vieux Léonato est dupe. Et savez-vous qui l’auteur choisit pour prouver leur erreur à ces graves personnages, à ce jeune homme si sage et si noble, à ce père en cheveux blancs, à ce roi, vivante image de la justice ? Il choisit deux imbéciles, deux idiots, Dogberry et Vergès, et c’est par ces grotesques prodigieux qu’il fait révéler la vérité qui doit justifier Héro. Alors a lieu le dénoûment où toutes les prévisions reçoivent un si complet démenti. Béatrice et Bénédict, qui avaient juré de rester célibataires, se marient. Héro, que tous avaient crue morte, reparaît complètement justifiée. Et Claudio, mystifié jusqu’au dernier moment, épouse la fille de Léonato en croyant prendre pour femme la fille d’Antonio. Au lieu du duel attendu entre Claudio et Bénédict, la pièce a pour fin leur double noce. Ces deux amis, qui devaient s’égorger, s’embrassent et deviennent tout à fait cousins. Toutes ces péripéties si graves, si douloureuses, aboutissent à l’issue la plus gaie. Tous ces désaccords se réconcilient, au milieu d’une salle de danse, dans un air de flûte ; et la tempête qui devait bouleverser tant d’existences jette son dernier souffle dans la joyeuse fanfare d’un bal. Et c’est ainsi que tous ces personnages qui avaient cru de si bonne foi figurer dans une tragédie n’ont joué en réalité que cette comédie exquise : Beaucoup de bruit pour rien !

Rien ne peut donner une plus juste idée de la profonde originalité de Shakespeare que la comparaison entre Beaucoup de bruit pour rien et la nouvelle de Bandello traduite par Belleforest, sous ce titre : Comment