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LES JALOUX.

épée, et il a dégradé à tout jamais l’homme qui a prostitué sa nièce. Le poëte n’a pas voulu laisser à ce misérable l’excuse du dévouement ; désormais, Pandarus n’est plus le compagnon de Troylus, il est son agent. Il rend au fils de Priam les services que comporte son état. Il appartient à la confrérie autorisée des entremetteurs ; il s’est établi dans le commerce et paie patente ; il a ouvert boutique de vertus, et il tient, dans les environs du Palais-Royal de Troie, une maison de tolérance. — Si Pandarus a pris ainsi un caractère purement comique, en revanche Troylus est devenu un type absolument tragique. Il n’a plus ces accès de raillerie et d’humour qui le prenaient encore dans Chaucer, Il reste constamment dans l’exagération des sentiments nobles : heureux ou malheureux, il ne connaît des émotions que leur fièvre. Son existence est une série continuelle de crises. De l’amour, il n’éprouve que les extases ; du chagrin, que les désespoirs ; de la jalousie, que les fureurs. — À Troylus, Shakespeare a opposé Diomède. Autant Troylus est naïf, autant Diomède est roué. L’humilité de l’un n’a d’égal que l’outrecuidance de l’autre. Troylus s’adresse à l’affection ; Diomède, à la vanité de la femme. Troylus n’invoque que l’amour ; Diomède n’excite que l’amour-propre. Ce n’est pas seulement Cressida qui a fait ces deux hommes ennemis, c’est la nature. Et leur inimitié n’est, sous une forme dramatique, que l’éternelle rivalité de la Passion et du Caprice.

II

On l’a dit souvent, le monde est un théâtre, et, tous, tant que nous sommes, nous figurons dans une pièce, tragique ou comique, dont le dénoûment nous est in-