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BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN.

BÉNÉDICT.

Oh ! c’est elle qui m’a maltraité à lasser la patience d’une bûche ! Un chêne, n’ayant plus qu’une feuille verte, lui aurait répliqué. Mon masque même commençait à prendre vie et à maugréer contre elle. Elle m’a dit, sans penser qu’elle s’adressait à moi, que j’étais le bouffon du prince ! que j’étais plus ennuyeux qu’un grand dégel !… Elle m’a lancé railleries sur railleries avec une si impossible dextérité, que je restais coi, comme l’homme à la cible visé par toute une armée. Elle parle des poignards, et chaque mot frappe. Si son haleine était aussi terrible que ses épithètes, il n’y aurait pas moyen de vivre auprès d’elle, elle infecterait jusqu’à l’étoile du Nord. Je ne voudrais pas l’épouser quand elle aurait en dot tout l’héritage d’Adam avant la faute. Elle aurait fait tourner la broche à Hercule… oui, et elle lui aurait fait fendre sa massue pour allumer le feu. Allez, ne parlez plus d’elle. Vous découvrirez que c’est l’infernale Mégère en grande toilette. Plût à Dieu que quelque savant l’exorcisât ! Car, certainement, tant qu’elle sera dans ce monde, on pourra vivre en enfer aussi tranquille que dans un lieu saint, et les gens pécheront tout exprès pour y aller. C’est que, vraiment, il n’est pas de désordre, pas d’horreur, pas de discorde qu’elle ne traîne après elle.

DON PEDRO, apercevant Béatrice.

Tenez, la voici qui vient.

BÉNÉDICT.

Votre altesse voudrait-elle me donner du service au bout du monde ? Je suis prêt à aller aux Antipodes pour la moindre commission qu’elle puisse imaginer de me confier. J’irai lui chercher un curedent au dernier pouce de terre de l’Asie ; je lui apporterai la mesure du pied du Lama ; j’irai lui chercher un poil de la barbe du grand