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INTRODUCTION.

dans je ne sais quel Hôtel de Rambouillet féodal, Benoist de Saint-Maur chantait. Il était en voix et se sentait inspiré. Il chantait le siége d’Ilion, d’après le récit authentique d’un certain « Darès, troyen qui, nourri et né dans Troie, y avait fait mainte prouesse et à assaut et à tournois. » Tout à coup, voyant probablement languir l’attention de son auditoire féminin, il s’interrompit au milieu de ce grave sujet, et, laissant là la guerre des Grecs et des Troyens, il se mit à raconter les amours du biau chevalier Troylus et d’une fille molt renommée, appelée Briseïda.

Troylus fut biau à merveille,
Chière ot riant, face vermeille,
Cler vis apert, le front plénier,
Moult i avoit biau chevalier.
Cheveus ot blons et reluisans
Et sis nez iert moult avenans ;
Œux ot vairs, plain de gaieté,
Bien et bien faite et beles denz
Plus blans qu’ivoire en argenz ;
Menton carré, lonc col et droit…
D’armes et de chevalerie
Après Hector ot seignerie.

À l’apparition de ce Troylus qui intervient brusquement dans l’histoire de Troie, et qui rappelle par sa bonne mine les aimables paladins de la Table-Ronde, vous devinez quel intérêt subit le récit de Benoist de Saint-Maur a dû prendre pour ses auditeurs normands du douzième siècle. Vous voyez d’ici l’attention se peindre sur le visage du plus indifférent. Désormais le poëte est bien sûr d’être écouté jusqu’au bout. Il continue. Il apprend à son public avide que Troylus est l’amant heureux de Briseïda, fille de Calcas. Or, ce Calcas est un évêque troyen qui a pris le parti des Grecs : prévoyant la ruine d’Ilion, il supplie Agamemnon d’envoyer quérir sa fille