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LES JALOUX.

allez lire. C’est sa propre crédulité qu’il prête à Troylus. Ce sont ses défiances qu’il inspire au fiancé d’Héro. C’est son délire qu’il communique au mari d’Hermione. C’est de ses yeux que sont tombées les larmes de Posthumus. C’est de son cœur qu’est parti le cri effrayant d’Othello.

I

Ce qui fait de Troylus et Cressida une œuvre extraordinaire, c’est moins la splendeur du style, c’est moins la beauté saisissante des principales scènes, c’est moins la variété et la vie des caractères que la manière même dont le drame a été composé. Pour apprécier cette œuvre à sa juste valeur, il ne suffit pas de la lire ; il faut pénétrer le secret de sa création ; et, pour pénétrer ce secret, il faut soulever la poussière des siècles et exhumer le passé. Ici la critique doit s’aider de l’histoire.

Au moment où parut Shakespeare, à la fin du seizième siècle, deux traditions bien distinctes s’offraient à la poésie : la tradition héroïque et païenne savamment révélée par la Renaissance, la tradition chrétienne et chevaleresque naïvement transmise par le Moyen Âge ; d’un côté, l’humanité avec la religion, les mœurs et les dogmes antiques ; de l’autre, l’humanité avec la foi, les croyances et les passions modernes. D’une part, la civilisation de l’Iliade et de l’Orestie ; de l’autre, la civilisation du Romancero et de la Divine Comédie. Ici, l’art hiératique et régulier de la Grèce classique ; là, l’art libre et spontané de l’Europe romanesque.

Entre les deux arts lequel choisir ? Auquel donner la préférence ? Une école puissante, formée sous le patronage des princes, une école dont le fondateur avait été