Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 4.djvu/154

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
TROYLUS ET CRESSIDA.
cèrement, — dans tout l’épanchement d’une bonne camaraderie, — lequel, selon vous, mérite le mieux la belle Hélène, — moi ou Ménélas ?
DIOMÈDE.

Tous les deux également. — Il mérite bien de l’avoir, lui qui vient la chercher, — sans prendre scrupule de ses souillures, — à travers cet enfer de peines et ce monde d’épreuves ; — et vous méritez aussi bien de la garder, vous qui, pour sa défense, — sans être rebuté par le goût de son déshonneur, — faites un si coûteux sacrifice de trésors et d’amis. — Lui, comme un cocu larmoyant, il désire boire — la lie et le restant d’une liqueur fade et éventée ; — et vous, comme un libertin, vous vous plaisez — à engendrer vos héritiers dans des flancs éreintés. — À ne peser que vos deux mérites, l’un balance l’autre ; — mais lui, avec ce qu’il porte, il aurait le plus de poids pour une putain.

PÂRIS.

— Vous êtes trop amer pour une compatriote.

DIOMÈDE.

— C’est elle qui est amère à son pays. Écoutez-moi, Pâris. — Pour chaque goutte impure qu’il y a dans ses veines de prostituée, — la vie d’un Grec s’est éteinte ; pour chaque scrupule — que pèse sa charogne salie, — un Troyen a été tué ! Depuis qu’elle a pu parler, — elle n’a pas proféré autant de mots intelligibles — qu’il y a de Grecs et de Troyens morts pour elle.

PÂRIS.

— Beau Diomède, vous faites comme les chalands, — vous dépréciez l’objet que vous désirez acheter ; — mais nous, nous maintenons sa valeur en silence : — nous ne voulons pas vanter ce que nous ne voulons pas vendre. — Voici notre chemin.

Ils sortent.