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SCÈNE IX.
son pied était déjà sur la poitrine du brave Hector, — et comme si la grande Troie croulait !
ACHILLE.

Je crois bien cela, car ils ont passé près de moi — comme des avares devant un mendiant, sans m’accorder — un mot ni un regard bienveillant. Quoi ! mes actions sont-elles donc oubliées ?

ULYSSE.

— Monseigneur, le Temps a sur son dos une besace — où il recueille des aumônes pour l’Oubli, — ce monstre-géant d’ingratitude. — Ces rebuts, ce sont les bonnes actions passées, dévorées — aussitôt que faites, oubliées aussitôt — qu’accomplies. La persévérance seule, mon cher seigneur, — garde à l’honneur son éclat. Avoir fait, c’est rester — hors de mode, pendu comme une cotte de mailles rouillée — à quelque panoplie dérisoire. Mettez-vous vite en marche ; — car la gloire chemine dans un défilé si étroit — qu’un seul y peut marcher de front. Gardez bien le sentier. Car l’émulation a mille fils — qui vous suivent un à un. Si vous lâchez pied — ou si vous vous détournez de la voie directe, — vite, avec l’emportement d’une marée, ils se précipitent tous — et vous laissent en arrière. — Vous êtes comme un vaillant cheval tombé au premier rang — et devenu le marchepied de l’abjecte arrière-garde — qui le foule et l’écrase. Ainsi, ce qu’ils font dans le présent, — quoique moindre que vos actes passés, les domine nécessairement. — Le temps est comme un hôte de bonne maison — qui serre légèrement la main aux convives partants, — et, comme s’ils voulaient s’enfuir, dans ses bras pressés — étreint les nouveaux venus. Le bonjour sourit toujours, — et l’adieu s’en va soupirant. Oh ! que le mérite — ne prétende jamais — à la rémunération de ce qu’il a été ! — Car la beauté, l’esprit, la haute naissance, la vigueur du