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TROYLUS ET CRESSIDA.
plus difficile pour notre maîtresse d’imaginer des corvées que pour nous de les accomplir. La monstruosité en amour, madame, c’est que la volonté est infinie, et l’exécution, restreinte ; c’est que le désir est sans bornes, et que l’action est esclave de la limite !
CRESSIDA.

On dit que tous les amants prennent plus d’engagements qu’ils n’en peuvent tenir, et promettent toujours des exploits qu’ils n’exécutent jamais ; ils font vœu d’en achever dix, et en déchargent à peine la dixième partie d’un seul. Ceux qui crient comme des lions et agissent comme des lièvres, ceux-là ne sont-ils pas des monstres ?

TROYLUS.

Y a-t-il de tels hommes ? Pour moi, je ne suis pas ainsi. Louez-moi pour ce que je vaudrai, jugez-moi après expérience ; ma tête ira toute nue jusqu’à ce qu’elle mérite la couronne ; qu’aucun exploit en perspective n’obtienne d’éloge dans le présent ! Ne qualifions pas la valeur avant sa naissance ; et, une fois née, qualifions-la modestement. Voici en peu de mots ma profession de foi : Troylus sera tel pour Cressida que tout ce que l’envie pourra dire de pire sera une raillerie sur sa fidélité, et que tout ce que la vérité pourra dire de plus sincère ne sera pas plus sincère que Troylus.

CRESSIDA.

Voulez-vous entrer, monseigneur ?

Revient Pandarus.
PANDARUS.

Quoi, toujours à rougir ? Vous n’avez donc pas fini de causer ?

CRESSIDA.

C’est bon, mon oncle ; toutes les folies que je commets, je vous les dédie.