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ques siècles, elle s’appelait Frédégonde. De tout temps, elle a sollicité l’homme à la faute, au crime, à la chute. Elle a perdu Adam, Samson, Pâris, Antoine, Chilpéric, et la voilà qui perd Macbeth !

Macbeth est dominé par sa femme ; le roi Jean, par sa mère. L’amour conjugal est la justification du premier ; le respect filial, l’argument du second. Lady Macbeth veut devenir reine, et voilà pourquoi Duncan est tué ; Éléonore veut rester reine, et voilà pourquoi Arthur est tué. Dès la première scène, l’influence sinistre d’Éléonore se manifeste. C’est elle qui relève l’insulte faite à Jean par l’envoyé de Philippe ; c’est elle qui alarme le roi : « Eh bien, mon fils, ne vous ai-je pas toujours dit que cette ambitieuse Constance n’aurait point de repos, qu’elle n’eût embrasé la France et le monde entier ? » C’est Éléonore qui décide Jean à s’assurer la possession du trône, dans une confidence que le ciel, le roi, et elle, doivent seuls entendre. C’est Éléonore qui, tout d’abord, cherche à attirer Arthur : « Viens à ta grand’mère, enfant ! » Et Constance, qui devine le piége, dit à son fils ironiquement : « Va, enfant, va trouver ta grand’mère, enfant ; donne à grand’maman un royaume, et grand’maman te donnera une prune, une cerise et une figue, cette bonne grand’maman ! » Enfin, après la victoire, c’est Éléonore qui retient Arthur par la main, tandis que Jean invite Hubert à l’assassiner. Et alors Constance s’écrie en la montrant du doigt : « Tout vient d’elle et tout est pour elle ! Malédiction sur elle ! » Le poëte l’a dit quelque part, Éléonore, c’est l’Até qui excite le roi d’Angleterre au sang et au combat. Ainsi, Jean n’est, pas plus que Macbeth, absolument responsable de ses actions. Mais la culpabilité des deux hommes est différente. Macbeth, lui, a eu le sentiment moral ; il a eu la notion du