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NOTES.

HUBERT.

— Je ne veux pas murmurer avec ma langue un tel forfait, — et pourtant il faut que je l’accomplisse de mes mains. — Mon cœur, ma tête, tout mon être — me refuse ici son office. — Lis cette lettre, lis ces lignes triplement funestes ; — apprends ma mission, et pardonne-moi quand tu la connaîtras. — « Hubert, au nom de notre repos d’esprit et du salut de notre personne, il t’est commandé, sur le reçu de cet ordre, d’arracher les yeux à Arthur Plantagenet. »

ARTHUR.

— Ah ! homme monstrueux et maudit ! Rien qu’avec son souffle il infecte les éléments ! — Son cœur recèle un venin contagieux — qui suffirait à empoisonner le monde entier ! — Est-ce une impiété d’accuser les cieux — d’injustice, quand ils laissent ce mécréant — opprimer et outrager les innocents ? — Ah ! Hubert ! tu es donc l’instrument dont il se sert — pour sonner la fanfare qui annonce à l’enfer son triomphe ! — Le ciel pleure, les saints versent d’angéliques larmes, — dans la crainte qu’ils ont de ta chute ; ils te poursuivent de remords, — ils frappent à ta conscience pour y faire entrer la pitié — et te protéger contre la rage de l’enfer. — L’enfer, Hubert, l’enfer avec tous ses fléaux, est au bout de ce forfait damné. — Ce papier scellé, qui te promet le bonheur dans ce monde, — institue Satan chef de ton âme. — Ah ! Hubert, ne consens pas à abandonner ta part de Dieu. — Je ne te parle pas seulement pour que tu me laisses la vue, — qui n’est pour moi que le premier des biens matériels ; — je te parle au nom du péril que tu cours, péril bien plus grand que ma douleur ; — la perte de ta douce âme bien pire que la perte de mes vains yeux. — Réfléchis bien, Hubert, car c’est chose dure — de perdre l’éternel salut pour la faveur d’un roi !

HUBERT.

— Monseigneur, tout sujet habitant le pays — est tenu d’exécuter les commandements du roi.

ARTHUR.

— Dieu, dont le pouvoir est plus étendu, a défendu dans ses commandements — d’obéir à celui qui commande de tuer.

HUBERT.

— Mais la même puissance a établi cette loi, — pour tenir le monde en respect, que le crime serait puni de mort.

ARTHUR.

— Je déclare que je ne suis ni criminel, ni traître, et que je suis pur.

HUBERT.

— Ce n’est pas à moi, monseigneur, qu’il faut en appeler.

ARTHUR.

— Tu peux du moins renoncer à une mission périlleuse.

HUBERT.

— Oui, si mon souverain veut renoncer à sa querelle.