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MACBETH, LE ROI JEAN ET RICHARD III.

C’était, certes, une noble et grande idée de présenter le supplice du roi Jean comme la conséquence logique de l’assassinat d’Arthur, et nous croyons ne pas calomnier Shakespeare en lui attribuant l’honneur de cette conception. Le Roi Jean de 1623 est composé et distribué exactement comme le Roi Jean de 1591. Dans les deux pièces, l’action est la même, les incidents sont les mêmes, le dénoûment est le même. Shakespeare, il est vrai, a retranché du drame définitif une scène fort scabreuse, où le Bâtard, chargé par le roi Jean de rançonner les couvents, découvre une nonne cachée dans le coffre-fort d’un moine. Mais, sauf cette suppression, il a suivi, scène par scène, la marche du drame anonyme. Or, comment croire qu’un génie aussi puissant que Shakespeare ait ainsi calqué la pièce d’un autre ? Ceux qui, sans raison, attribuent à Rowley la pièce de 1591, ne voient-ils pas qu’ils accusent gratuitement notre poëte du plus monstrueux plagiat ? Non, Shakespeare n’a pas copié son œuvre ; il avait le droit de la refaire, et il l’a refaite. La pièce imprimée en 1591 est de lui, comme la pièce imprimée en 1623. Shakespeare a refait le Roi Jean, comme il a refait le Roi Lear, Roméo et Juliette et Hamlet.

(23) Cet amusant procès, qui fait un si comique épisode dans le sombre drame de Shakespeare, semble avoir été une tradition populaire de la scène anglaise. Il occupe une place importante dans le Roi Jean anonyme, publié en 1591. Là, le roi d’Angleterre est également choisi pour arbitre par les deux frères Faulconbridge, et appelé à décider quel fut le père de Philippe ; seulement, il fait subir à lady Faulconbridge un interrogatoire que Shakespeare a eu le tact de retrancher dans l’œuvre définitive. La mère, questionnée publiquement sur un point si délicat, répond que le père de Philippe est bien son mari, le vieux sir Robert Faulconbridge. Cependant le roi n’est pas convaincu par cette affirmation, et veut que le fils lui-même déclare s’il est légitime ou bâtard. « Essex, s’écrie-t-il, demande à Philippe de qui il est le fils. »

ESSEX.

Philippe, qui a été ton père ?

PHILIPPE.

— Voilà une grave question, milord, et je vous aurais prié — déjà de la poser à ma mère, si vous n’aviez — déjà pris cette peine.

LE ROI JEAN.

— Parle, qui a été ton père ?

PHILIPPE.

— Ma foi, milord, puisqu’il faut vous répondre, mon père — a été celui qui était le plus près de ma mère quand je fus engendré, — et je crois que celui-là était sir Robert Faulconbridge.