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SCÈNE XVIII.
es à présent !… — Tu étais heureuse épouse, tu es la plus désolée des veuves ; — tu étais joyeuse mère, tu en déplores aujourd’hui même le nom ; — tu étais suppliée, tu es suppliante ; — tu étais reine, tu es une misérable couronnée d’ennuis ! — tu me méprisais, maintenant je te méprise ; — tu faisais peur à tous, maintenant tu as peur ; — tu commandais à tous, maintenant tu n’es obéie de personne ! — Ainsi la roue de la justice a tourné, — et t’a laissée en proie au temps, — n’ayant plus que le souvenir de ce que tu étais — pour te torturer encore, étant ce que tu es ! — Tu as usurpé ma place : pourquoi — n’usurperais-tu pas aussi une juste part de mes douleurs ? — Ton cou superbe porte maintenant la moitié de mon joug ; — je le fais glisser ici de ma tête fatiguée, — et j’en rejette sur toi le fardeau tout entier. — Adieu, femme d’York ! adieu, reine de mauvaise chance ! — Les maux de l’Angleterre me feront sourire en France.
LA REINE ÉLISABETH.

— Ô toi, experte en malédictions, arrête un peu — et apprends-moi à maudire mes ennemis.

LA REINE MARGUERITE.

— Abstiens-toi de dormir la nuit, et jeûne le jour ; — compare ton bonheur mort à ton bonheur vivant, — représente-toi tes enfants plus beaux encore qu’ils n’étaient, — et celui qui les a tués plus hideux qu’il n’est : — exalter une perte, c’est en empirer l’auteur. — N’oublie rien de tout cela, et tu apprendras à maudire.

LA REINE ÉLISABETH.

— Ma parole est émoussée ; oh ! affile-la de la tienne !

LA REINE MARGUERITE.

— Tes malheurs la rendront aiguë et tranchante comme la mienne.

Elle sort.