Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1866, tome 3.djvu/301

Cette page a été validée par deux contributeurs.
297
SCÈNE II.
des arbres inondés de pluie ! À ces tristes moments, — mes yeux virils refoulaient une humble larme. — Eh bien, ce que ces douleurs n’avaient pu faire, — ta beauté l’a fait : elle m’a aveuglé de pleurs (46). — Jamais je n’avais supplié ami ni ennemi, — jamais ma langue n’avait pu apprendre un doux mot caressant. — Mais maintenant ta beauté est le domaine que je souhaite ! — Mon cœur si fier sollicite, et presse ma langue de parler.
Elle le regarde avec dédain.

— Ah ! n’enseigne pas un tel dédain à ta lèvre : car elle a été faite — pour le baiser, ma dame, et non pour le mépris. — Si ton cœur rancuneux ne peut pardonner, — tiens, je te prête cette épée effilée ; — si tu veux la plonger dans cette poitrine loyale — et en faire partir l’âme qui t’adore, — j’offre mon sein nu au coup mortel — et je te demande la mort humblement, à genoux.

Il découvre sa poitrine. Anne dirige l’épée contre lui, puis la laisse tomber.

— Non ! ne t’arrête pas ; car j’ai tué le roi Henry… — Mais c’est ta beauté qui m’y a provoqué ! — Allons, dépêche-toi : c’est moi qui ai poignardé le jeune Édouard !…

Anne relève l’épée vers lui.

— Mais c’est ta face divine qui m’a poussé !

Elle laisse tomber l’épée.

— Relève cette épée ou relève-moi !

LADY ANNE.

— Debout, hypocrite ! Quoique je souhaite ta mort, — je ne veux pas être ton bourreau.

RICHARD.

— Alors dis-moi de me tuer moi-même, et je le ferai.

LADY ANNE.

— Je te l’ai déjà dit.

RICHARD.

C’était dans ta fureur. — Répète-le moi ; et aussitôt —