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SCÈNE V.
de me pendre. — Si j’étais folle, j’oublierais mon fils, — ou je le prendrais follement pour une poupée. — Je ne suis pas folle : je ressens trop bien, trop bien, — les tortures variées de toutes mes calamités.
Elle se couvre de sa chevelure et sanglote.
PHILIPPE.

— Relevez ces tresses… Oh ! que d’amour je remarque — dans cette éclatante multitude de cheveux ! — Si, par hasard, ses yeux laissent tomber une larme argentée, — dix mille fils d’or se collent — à cette larme dans une commune douleur, — amis vrais, inséparables, fidèles, — qu’attache la calamité !

CONSTANCE, s’arrachant les cheveux et les jetant au vent.

— En Angleterre, si vous voulez.

PHILIPPE.

Relevez vos cheveux.

CONSTANCE.

— Oui, je vais le faire… Et pourquoi le ferais-je ? — Quand je les ai arrachés de leurs liens, je me suis écriée : — Oh ! si ces mains pouvaient affranchir mon fils — comme elles rendent à ces cheveux leur liberté ! — Mais, maintenant, je porte envie à leur liberté, — et je vais les remettre dans leurs liens, — puisque mon pauvre enfant est prisonnier. — Père cardinal, je vous ai entendu dire — que nous reverrons et que nous reconnaîtrons les êtres aimés dans le ciel. — Si cela est vrai, je reverrai mon fils : — car, depuis Caïn, le premier enfant mâle, — jusqu’à celui qui ne respire que d’hier, — il n’est jamais né d’aussi gracieuse créature. — Mais, maintenant, le ver du chagrin va le dévorer en bouton, — et chasser de ses joues sa beauté native, — et il aura la mine creusée d’un spectre — et la livide maigreur de la fièvre, — et il mourra ainsi, et il ressuscitera ainsi, — et, quand je la rencontrerai dans la cour des cieux, — je ne le recon-