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LE ROI JEAN.
douleur ! — Elle est si grande que l’énorme terre ferme — peut seule la supporter ! Moi et ma douleur, nous nous asseyons ici. — Voici mon trône, dites aux rois de venir le saluer (32) !
Elle se jette par terre.
Entrent le roi Jean, Philippe, Louis, Blanche, la reine-mère Éléonore, le Bâtard, l’Archiduc, et des courtisans.
PHILIPPE, à Blanche de Castille.

— C’est vrai, ma charmante fille ; et ce jour bien heureux — sera à jamais célébré en France. — Pour le solenniser, le soleil glorieux — s’arrête dans sa course, et, imitant l’alchimiste, — par la splendeur de son radieux regard, change — la maigre terre fangeuse — en or étincelant. — L’avenir, en en ramenant l’anniversaire, — le regardera certainement comme un jour de fête.

CONSTANCE, se levant.

— Comme un jour néfaste, et non un jour de fête ! — Qu’a-t-il donc mérité, ce jour ? Qu’a-t-il fait — pour être inscrit en lettres d’or — sur le calendrier, parmi les grandes époques ? — Ah ! plutôt chassons ce jour de la semaine, — ce jour de déshonneur, d’oppression, de parjure ; — ou, s’il doit y rester, que les femmes grosses — prient le ciel de ne pas être délivrées ce jour-là, — de peur que leurs espérances n’avortent dans un monstre ! — que les marins ne redoutent le naufrage que ce jour-là ! — que les marchés faits ce jour-là soient les seuls violés ! — que toutes les choses commencées ce jour-là viennent à mauvaise fin ! — Oui, que, ce jour-là, la loyauté même se change en fausseté creuse !

PHILIPPE.

— Par le ciel, madame, vous n’aurez pas de motif — de maudire les beaux résultats de ce jour. — Ne vous ai-je point engagé ma couronne ?