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ROBERT.

— Le fils et l’héritier du même Faulconbridge.

LE ROI JEAN, montrant le Bâtard.

— Celui-ci est l’aîné et tu es l’héritier ? — Vous n’êtes pas issus de la même mère, il paraît ?

LE BÂTARD.

— Très-certainement de la même mère, puissant roi, — c’est bien connu, et aussi, je crois, du même père, — mais pour la connaissance certaine de cette vérité-ci, — je vous renvoie au ciel et à ma mère. — J’ai sur ce point les doutes que peuvent avoir tous les enfants des hommes.

ÉLÉONORE.

— Fi, homme grossier ! tu diffames ta mère — et tu blesses son honneur par cette défiance.

LE BÂTARD.

— Moi, madame ? Non pas, je n’ai pas de raison pour ça : — c’est là l’argument de mon frère, et non le mien ; — s’il peut le prouver, il me fait déguerpir — de cinq cents belles livres de revenu au moins. — Le ciel préserve l’honneur de ma mère et ma succession !

LE ROI JEAN.

— Voilà un franc gaillard !… Pourquoi, étant le plus jeune, — ton frère réclame-t-il ton héritage ?

LE BÂTARD.

— Je ne sais pas pourquoi, si ce n’est pas pour avoir la succession. — Un beau jour, il m’a accusé de bâtardise ; — ai-je été fait, oui ou non, aussi légitimement que lui ? — Je laisse ma mère en répondre sur sa tête. — Mais pour savoir si j’ai été fait aussi bien, sire, — (que la terre soit légère aux os qui ont cris pour moi cette peine !) — comparez nos visages, mon suzerain, et soyez juge vous-même. — Si le vieux sir Robert nous a réellement faits tous deux, — s’il fut bien notre père, et si ce fils-là