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tion infamante les êtres féeriques. Un des chefs de la magistrature française, un très-catholique conseiller du roi très-chrétien, le sieur de l’Ancre, les dénonçait dans son ouvrage de la Mescréance (p. 382, éd. 1622), comme « des démons qui, pour se rendre maistres, ont accoustumé de vexer et de tourmenter les hommes. » Le roi protestant Jacques VI, dans son livre de la Démonologie (page 123, éd. 1619), les reléguait, avec les esprits des ténèbres, « sous la papauté de Satan, Sub papain Satanæ. » Shakespeare protége les fées contre ces sentences du fanatisme, jésuitique ou puritain. Il étend l’aile immense de son génie sur les calomniées de l’azur. Il les affranchit à jamais du prétendu vasselage qui les soumet au démon. Il restitue à ces tutélaires créatures la place splendide que leur assignait dans l’ordre des êtres la vieille foi celtique. Grâce à une poésie souveraine, on ne les confondra plus avec les âmes des ténèbres : « Nous, dit fièrement Obéron, nous ne sommes pas de ceux qui s’exilent de la lumière et qui épousent à jamais la nuit au front noir. Nous sommes des esprits d’un autre ordre. Moi qui vous parle, j’ai fait bien souvent des parties avec l’amant de la matinée, et, comme un forestier, je puis marcher dans les halliers jusqu’à ce que la porte de l’Orient, toute flamboyante, s’ouvrant sur Neptune avec de splendides rayons, change en or jaune le sel vert de ses eaux. »

Sur le théâtre de Shakespeare, les fées, si longtemps méconnues, redeviennent les gardiennes charmantes de la nature. Ce sont elles qui font la toilette du printemps et qui secouent de sa robe les bêtes sinistres et difformes. Elles « tuent le ver caché dans le bouton de rose ; » elles « font la guerre aux chauves-souris ; » elles « écartent les hiboux ; » elles mettent en fuite « le porc-épic épineux, les serpents au double dard, les lézards, aveugles rep-