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encore ma crainte et mon étonnement. Nous continuâmes d’avancer jusqu’à un endroit où il m’amena sous terre, je ne sais comment, devant une belle femme qui paya l’argent sans dire un mot. Il me fit sortir de cette caverne par une longue et large avenue où je vis six cents hommes armés, étendus à terre et comme endormis. — Enfin, je me trouvai seul dans la campagne, à l’endroit même où nous nous étions rencontrés, et je parvins à revenir chez moi, au clair de lune, vers trois heures du matin. L’argent que j’avais reçu était juste le double de ce que je l’avais évalué quand la femme me paya. Je puis à présent montrer les pièces de monnaie qu’elle me donna : ce sont des neuf pence et des treize pence et demi[1]. »

Dans le mystérieux récit de l’écrivain anglais, le lecteur a déjà reconnu les deux héros de la ballade écossaise. Celui qui fait le marché avec le maquignon n’est autre que Thomas le Rimeur, dont les Learmonth du comté de Fife se prétendent encore descendants. Quant à « la belle femme qui paie l’argent sans dire un mot, » c’est la reine des fées en personne.

L’apparition dont parle ici Reginald Scot n’est pas la dernière que le ménestrel-prophète ait faite en ce monde. S’il faut s’en rapporter à une tradition que Walter Scott lui-même a recueillie, Thomas le Rimeur se serait montré sur la terre dans la première moitié du dix-huitième siècle, vers l’époque de la fameuse insurrection du Prétendant contre la dynastie de Hanovre. Suivant cette tradition, Thomas, ayant prédit la fortune des descendants de Robert Bruce, était un partisan dévoué des Stuarts. Il avait même décidé les fées à combattre pour

  1. Extrait d’un curieux ouvrage publié en 1584 et intitulé : Discourse of devils and spirits appended to the Discovery of Witchcraft, by Reginald Scot, esq., livre II, chap. iii.