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— Sept ans !… qu’importe ? N’ai-je pas juré d’être avec vous toujours ?

— Ah ! tu ne sais pas notre grand secret ! je ne t’en ai pas parlé d’abord de peur de t’effrayer, mais je vois qu’il faut que je te le dise. Sache donc que, nous autres fées, nous payons périodiquement le tribut d’une âme à l’enfer. Or, c’est demain que le démon vient réclamer le tribut. Et, plutôt que de sacrifier une d’entre elles, les fées te livreraient à lui. Fuis donc tandis qu’il en est temps encore.

Le pauvre Thomas pleurait.

— Console-toi, ami ! poursuivit la reine. La vie sur la terre n’est pas longue. Quand l’heure fatale où elle doit finir pour toi approchera, je devancerai la mort et j’irai te chercher. En attendant, je veux que tu emportes parmi les hommes un gage de ma puissance. Je te donne dès à présent le privilége surhumain de prédire l’avenir. Poëte, je te sacre prophète !

Et la reine étendit sa baguette.

Aussitôt Thomas se sentit enlevé par une puissance invisible. En moins d’une seconde, sans qu’il eût pu dire comment, il se retrouva seul, étendu à l’ombre du chêne d’Eildon, sur le même gazon où il avait eu, sept ans auparavant, un si doux tête-à-tête. Notre ami reconnut parfaitement l’endroit. La grive et le geai qu’il avait entendus jadis étaient encore là, chantant toujours le même air. La forêt avoisinante était à la même place ; seulement on voyait qu’elle avait grandi. Les arbrisseaux d’autrefois étaient maintenant de beaux arbres, tout barbus de mousse, et le gros chêne d’Eildon avait pris un surcroît d’embonpoint.

Voilà donc Thomas de nouveau en ce monde. Adieu les jours sans nuit, adieu les printemps sans hiver, adieu les jouissances sans labeur du paradis féerique !