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trel suivit son introductrice. La reine passa d’abord par les cuisines, sans doute pour rassurer l’estomac inquiet de son compagnon. Là, en effet, Thomas vit les apprêts du plus succulent dîner. Quarante cerfs, abattus par le roi dans la journée, rôtissaient devant d’énormes brasiers, et des lévriers dévoraient dans des coins les restes de cette curée. Mais, hélas ! l’étiquette avant l’appétit. Pour être admis à la table royale, il faut d’abord, chez les fées comme chez les hommes, être présenté au roi.

La reine entraîna donc son hôte dans le salon de réception et le présenta à son auguste époux, donnant, pour expliquer le mutisme du nouveau venu, cette raison péremptoire qu’elle lui avait retiré l’usage de la parole. Sa majesté accepta l’explication, et, soit par bon goût, soit par excès de confiance, ne fit à la reine aucune observation sur son absence prolongée.

Au surplus, le moment n’était pas bien choisi pour une explication conjugale. Il y avait bal à la cour. La salle du trône, où Thomas avait été introduit, était pleine de seigneurs-fées et de dames-fées qui dansaient des sarabandes fantastiques. La musique n’était pas moins merveilleuse que la danse. Notre ami examina l’orchestre avec curiosité : il y reconnut le luth, la lyre, la guitare, le violon et la harpe, mais les autres instruments étaient absolument nouveaux pour lui.

Thomas, qui s’y connaissait en sa qualité de ménestrel, pensa n’avoir jamais ouï de concert si parfait. Il battait la mesure malgré lui, et enfin, n’y tenant plus, il se laissa enlever par la reine dans la ronde irrésistible. Sous l’empire de l’archet féerique, le poëte oublia la fatigue, et ne pensa plus aux quarante cerfs qui rôtissaient dans la cuisine. Le concert était devenu pour lui le plus exquis des repas. Il soupa de musique, il se gorgea de mélodie, il se rassasia d’harmonie ;