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terre, occupée, à ce qu’il lui sembla, de quelque affreux trébuchet. Aussitôt que celle-ci aperçut la nouvelle venue, elle se redressa légèrement au-dessus du sol poudreux, et, de ses yeux farouches, comme stupéfaite, elle fixa sur elle un regard cave et funèbre ; ne disant pas un mot, dans son ébahissement, mais montrant par des signes visibles la peur qui la possédait.

» À la fin, sa frayeur se changeant en rage folle, elle lui demanda ce qui diable l’avait amenée ici, — et qui elle était et quel sentier perdu l’avait guidée, la malvenue ! l’indiscrète ! À quoi la demoiselle, pleine d’inquiétude, lui répondit humblement : « Belle dame, ne vous fâchez pas contre une vierge naïve que le hasard a amenée dans votre demeure, à son insu et malgré elle, et qui ne demande qu’un peu de place pour se reposer tandis que la tempête souffle. »

» À ces mots, de ses yeux de cristal elle laissa doucement tomber quelques larmes qui ruisselèrent, pures et brillantes, comme deux perles d’Orient, sur sa joue de neige, et elle soupira si douloureusement que l’être le plus bestial, le cœur le plus sauvage, sympathique à tant de détresse, eût été attendri et ébranlé par la pitié. Aussi, l’infâme sorcière, bien qu’elle fit ses délices de toute souffrance, fut-elle émue par un spectacle si touchant.

» Elle se mit à la consoler à sa rude manière, et, prise d’une compassion féminine pour tant d’affliction, elle essuya les pleurs de ses yeux inondés, et lui dit de s’asseoir pour reposer un peu ses membres défaillants et accablés. Elle, sans répugnance, sans dédain pour une hospitalité si grossière, puisqu’elle était contrainte par la dure nécessité, s’assit sur-le-champ dans la poussière, aussi heureuse de ce pauvre reposoir, que l’oiseau, de l’orage passé.

» Puis elle ramassa ses vêtements déchirés, et rajusta ses boucles échevelées avec une guirlande d’or et de splendides ornements. Dès que la méchante vieille la vit ainsi, elle fut éblouie de son éclat céleste, et, hésitant à la prendre pour une créature terrestre, pensa qu’elle était déesse ou de la suite de Diane, et fut tentée de l’adorer dans une humble pensée : adorer une si divine beauté n’était que juste.

» Cette méchante femme avait, un méchant fils, la consolation de son grand âge et de ses vieux jours, un fainéant qui n’était bon à rien, et qui, toujours vautré dans la paresse, n’avait jamais eu l’idée