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d’Aquin, chose qui semble incroyable : mais quoy qu’il en soit, Spranger escript que les Alemans (qui ont plus d’expérience des sorciers pour y en avoir eu de toute ancienneté, et en plus grand nombre qu’ès autres pays) tiennent que de telle copulation il en vient quelquefois des enfants qu’ils appellent Vechselkind, ou enfans changés, qui sont beaucoup plus pesans que les autres, et sont toujours maigres, et tariroient trois nourrices sans engresser. L’an 1565 au bourg de Schemir qui est soubs la seigneurie de Vratislans de Berustin, les consuls et sénat de la ville d’Olimik ont fait mettre par escript le procès-verbal fait d’une sorcière, qui confessa avoir plusieurs fois couché avec Satan en guyse de son mary duquel elle estoit veufve qui engendra un monstre hideux sans teste et sans pieds, la bouche et l’espaule senestre de couleur comme un foye qui rendit une clameur terrible quand on le lavoit : estant enfoui en terre, la sorcière pria qu’on le bruslast, autrement qu’elle seroit toujours tourmentée de Satan, ce qui fut fait, et alors il sembloit qu’il tonnait autour de la maison de la sorcière, tant on ouyt de bruit et de clameurs de chiens et de chats. » De la Démonomanie, p. 105 et 106. — Éd. 1582.

(18) La passion brutale de Caliban pour Miranda rappelle un épisode fort intéressant qui occupe le troisième et le quatrième livre de La Reine des Fées. Là, seulement, ce n’est pas d’une simple mortelle que le fils de la sorcière est épris, c’est d’une créature féerique. En lisant avec attention le poëme de Spenser, on serait tenté de croire que Shakespeare s’en est inspiré, tant il y a de rapports entre l’amoureux de Miranda et l’amoureux de Florimel ! Le lecteur en jugera lui-même par la citation qui suit. Ne semble-t-il pas que Spenser ébauche le type de Caliban dans « ce fainéant qui n’était bon à rien et, toujours vautré dans la paresse, n’avait jamais eu l’idée de mériter un éloge ou de s’adonner à quelque honnête métier ; qui passait tout le jour à s’étendre au soleil ou à dormir à l’ombre indolente, et que la fainéantise avait rendu lascif et niais ? » Et plus loin, les attentions que ce rustre a pour sa bien-aimée ne rappellent-elles pas les moyens auxquels a recours Caliban pour se faire bien venir ? Afin de séduire Florimel, le fils de la sorcière lui apporte « des fruits sauvages dont les joues empourprées sourient toutes rouges, et souvent des petits oiseaux qu’il a dressés à chanter sur une suave mélodie les louanges de sa maîtresse. » Cette manière rustique de faire sa cour ne ressemble-t-elle pas aux procédés que Caliban sait employer lorsque, pour séduire cet imbécile de Trinculo, il lui promet de « lui cueillir des baies, de le mener à l’endroit où croissent les pommes sauvages,