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cet Éden nouveau, découvert par le poëte ? C’est le lieu primitif qu’a entrevu Platon. C’est le jardin dont le sol est éternel et la flore infinie. C’est l’endroit mystérieux où la forme variable s’unit à la substance immuable et où, dans un hymen prestigieux, Vénus, la beauté, s’unit à Adonis, la matière.


(16) La Tempête a été imprimée pour la première fois sept ans après la mort de l’auteur, dans la grande édition in-folio que publièrent en 1623 Héminge et Condell, comédiens de la troupe de Shakespeare. Cette édition, qui ne fut tirée qu’à 250 exemplaires, contient toutes les pièces du poëte aujourd’hui reconnues pour authentiques ; elle est devenue fort rare. J’ai eu le bonheur de feuilleter à loisir un de ces exemplaires qu’un libraire de Guernesey a bien voulu mettre à ma disposition. Et, après un examen attentif, je suis arrivé à cette conclusion que les éditeurs de l’in-folio de 1623 n’ont pas eu pour l’œuvre qu’ils publiaient tout le respect qu’ils devaient avoir. L’excuse de ces deux hommes, c’est que probablement ils étaient trop occupés de leurs propres affaires pour surveiller sérieusement la publication entreprise par eux. Héminge et Condell, ainsi que je l’ai dit, étaient comédiens, et le premier cumulait avec cette profession l’état d’épicier. En supposant chez eux la meilleure volonté du monde, il est difficile de croire qu’ils aient eu tout le loisir nécessaire pour corriger convenablement les épreuves d’un volume in-folio qui ne contient pas moins de mille pages, imprimées chacune sur double colonne, épreuves composées en partie sur un texte imprimé, en partie sur un texte manuscrit. Aussi, l’édition de 1623 porte-t-elle partout les traces d’une impression hâtive. On peut voir, par exemple, que la comédie de Troylus et Cressida avait été d’abord omise et oubliée : car les éditeurs, l’ayant intercalée après coup, n’ont pas même pris le soin d’en paginer les feuillets ni de l’indiquer par son titre dans le catalogue général qui sert de table. Le texte est partout défiguré par des erreurs grossières que les commentateurs les plus respectueux pour l’in-folio ont été obligés eux-mêmes de corriger. La ponctuation est faite presque au hasard ; les virgules sont prodiguées avec une négligence inouïe ; les noms des personnages sont souvent imprimés de plusieurs façons. Ainsi, dans le Marchand de Venise, Salarino s’appelle successivement Slarino, Salanio, Solanio et Salino. Dans Beaucoup de bruit pour rien, Dogberry et Verges s’appellent tout à coup Kempe et Cowley, du nom des deux acteurs chargés de jouer les deux personnages. (Ce qui prouve, par parenthèse, que la pièce a été imprimée sur le manuscrit du souffleur.) La manière dont