Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/313

Cette page a été validée par deux contributeurs.

miers livres. Lisez, à ce sujet, ce que Spenser écrivait à Walter Raleigh le 23 janvier 1593 :

« Le commencement de mon histoire, si elle était dite par un historien, serait le douzième livre, qui est le dernier. Là, j’imagine que la reine des fées donne sa fête annuelle de douze jours, et que, dans chacun de ces douze jours, arrive l’occasion de douze aventures distinctes qui sont entreprises par douze chevaliers et racontées dans mes douze livres. Le premier jour, voici ce qui se passe. Au commencement de la fête, se présente un jeune rustre, grand gaillard, qui se jette aux pieds de la reine des fées et lui demande pour faveur de lui confier la première aventure qui s’offrira pendant la fête. La demande étant accordée, il s’assied par terre, sa rusticité lui interdisant une meilleure place. — Aussitôt entre une belle dame en habits de deuil, montée sur un âne blanc, suivie d’un nain qui tient la lance d’un chevalier et qui mène un cheval de bataille portant une armure. Elle tombe aux genoux de la reine des fées, se plaint de ce que son père et sa mère, jadis roi et reine, sont depuis longues années retenus par un énorme dragon dans un château de bronze d’où ils ne peuvent sortir, et supplie la reine des fées de désigner quelqu’un de ses chevaliers pour les délivrer. Immédiatement, le rustre se redresse et réclame l’aventure ; et la reine, malgré sa surprise et les réclamations de la dame, finit par céder à son désir. À la fin, la dame lui dit que, s’il n’emploie pas l’armure qu’elle a apportée (c’est-à-dire l’armure du chrétien, spécifiée par saint Paul), il ne réussira pas dans son entreprise. Sur quoi le jeune homme, ayant revêtu la panoplie complète, semble le cavalier de meilleure mine et plaît beaucoup à la dame. Bientôt, admis à la chevalerie, il monte sur son étrange coursier et part avec l’inconnue pour entreprendre l’aventure. Là commence le premier livre. — Le second jour, arrive un pèlerin portant dans ses mains ensanglantées un enfant dont les parents, assure-t-il, ont été tués par une enchanteresse appelée Acrasia. Il supplie la reine de choisir quelque chevalier pour les venger ; et l’aventure est confiée à sire Guyon, qui s’éloigne avec le pèlerin. Là est le commencement et tout le sujet du second livre. — Le troisième jour, arrive un palefrenier qui se plaint, devant la reine des fées, de ce qu’un vil enchanteur, appelé Burirane, a en son pouvoir une très-belle dame appelée Amoretta, qu’il retient dans les plus affreux tourments parce qu’elle ne veut pas lui céder la jouissance de son corps. Sur quoi sire Scudamour, amant de cette dame, se charge de sa délivrance. Mais, des enchantements terribles l’ayant empêché de réussir, il finit, après de longues épreuves, par rencontrer Britomart, qui le secourt et sauve sa bien-aimée… »