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extermine le soudan, traverse l’empire du géant Angoulafre, qu’il pourfend dans un combat fort singulier, confie à Gérasme le gouvernement de cet empire, et, enfin, porté par un lutin pur sang qu’Obéron lui envoie, arrive dans les faubourgs de cette fameuse Babylone, où règne l’amiral Gaudisse. Le moment est enfin venu pour Huon d’exécuter les ordres de Charlemagne. Il s’agit, comme on s’en souvient, d’entrer chez l’amiral au moment de son dîner, puis d’égorger le plus grand seigneur assis près de lui, puis de baiser trois fois sur la bouche sa fille Esclarmonde, et, enfin, de lui arracher à lui-même, comme tribut, un certain nombre de poils et quatre dents mâchelières.

Huon attendit donc patiemment l’heure où l’amiral devait se mettre à table, et se dirigea vers le palais, armé de son épée, de sa lance, du cor et du gobelet d’Obéron, et de l’anneau d’or de ce terrible géant Angoulafre, dont l’amiral était vassal. La difficulté pour Huon était de s’introduire dans le palais, dont l’entrée n’était permise qu’à de bons Sarrasins. Cependant, il n’hésita pas et franchit la grande porte, en déclarant aux gardes qu’il croyait en Mahom. Mais il se doutait peu des conséquences terribles que devait avoir ce mensonge.

Il pénètre ainsi jusqu’à la salle à manger. L’amiral Gaudisse donnait, ce soir-là, un grand dîner à quelques soudans de ses amis, il avait à sa droite le roi d’Hyrcanie et à sa gauche sa fille Esclarmonde, qui était, comme on sait, la plus belle pucelle de la terre. Huon, pensant avec raison que le plus grand seigneur de la société devait être à la droite de l’amiral, s’élance incontinent sur le roi d’Hyrcanie et lui tranche la tête. Gaudisse, tout éclaboussé par le sang et la cervelle de son voisin, se lève furieux et ordonne d’arrêter le misérable qui a osé… Huon l’interrompt, en exhibant la bague d’Angoulafre : Respecte l’anneau de ton suzerain, dit-il à l’amiral. Coup de théâtre. Gaudisse, qui ignore la mort du géant son maître, se courbe respectueusement devant le sceau d’Angoulafre. Huon en profite pour prendre Esclarmonde par la taille, et pour lui appliquer sur les lèvres trois gros baisers. Au premier baiser, Esclarmonde était pâle ; au second, elle était rose ; au troisième, elle était rouge. Les fiançailles étaient consommées.

Il ne restait plus à Huon qu’à accomplir la dernière condition imposée par Charlemagne, mais celle-là était la plus difficile. Malgré toute la complaisance que l’amiral avait montrée jusque-là, il fit quelques difficultés pour se laisser extirper sa barbe et ses quatre grosses dents mâchelières. — « Chrétien ! dit-il d’un ton suppliant, je te conjure, par le crucifié que ton âme adore, de me dire la vérité. Je te conjure