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tandis qu’une foule de voix lui cornent aux oreilles ce refrain qu’elle n’a jamais oublié :

Brown bread and herring cobb!
Thy fat sides shall have many a bob.

« Du pain bis et une queue de hareng ! Tes grasses hanches auront bien des bobos. »

La leçon était trop bonne pour ne pas profiter. La ménagère se rappela toujours la nuit de ses noces ; et désormais, lorsqu’il s’agit d’apprêter le souper du lutin, il n’y avait jamais de pain assez blanc ni de lait trop pur.

On le voit, le lutin avait de la rancune. Mais au fond, il était loin d’être cruel. C’était un petit espiègle qui aimait les grosses farces. Voilà tout. Il s’amusait, comme le Puck de Shakespeare, à faire peur aux filles du village, à égarer la nuit les voyageurs, à faire hennir un cheval en imitant le cri de la jument, à prendre les formes les plus drôles, à se changer en pomme cuite pour tromper la gourmandise du marmot ou en tabouret pour tromper la paresse de la grand’maman. Charmante créature en somme, et rachetant tous ses défauts par des qualités. Il était vindicatif, c’est vrai, mais il était reconnaissant ; il était exigeant, mais il était dévoué. Et, s’il ne s’agissait d’un esprit, on pourrait dire de lui ce qu’on dit de tous les enfants gâtés : mauvaise tête, mais bon cœur[1].

  1. L’existence de ce génie domestique est officiellement constatée par un magistrat fort considérable qui fut désigné par Henri IV pour instruire contre les sorciers, le sieur De L’ancre, conseiller du roi en son conseil d’État. Voici ce que dit ce docte jurisconsulte dans un livre dédié à l’Invincible louis XII, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre : « On en est venu jusque là qu’on ne s’effraye plus des démons ou esprits domestiques ou tutélaires, sous prétexte que nous les consultons et qu’ils font semblant de nous tenir en protection. Plusieurs, sans crainte de leur forme hideuse, tiennent des marmousets dans leurs maisons, lesquels se laissent tenir et enserrer dans des boîtes ou armoires. L’histoire très-véritable en est célèbre et récente