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siècles, on conçoit qu’à un moment donné, il avait des trous au coude. N’importe, le lutin se drapait dans sa loque avec une fierté digne de Diogène. Un jour, une riche ménagère, voyant son esprit familier si pauvrement mis, eut l’idée charitable de lui offrir un pardessus bien chaud et bien élégant. Elle le fit de ses propres mains, et, le soir venu, le déposa soigneusement dans le coin favori de son cher hôte. Puis elle se retira discrètement pour le laisser s’habiller. Le lutin vint à son heure habituelle, mais, en voyant le nouvel habit, il fut profondément mortifié. Il poussa un gros soupir, et jurant de ne plus revenir chez son impertinente bienfaitrice, il partit en murmurant ces vers mélancoliques :

A new mantle, and a new hood !
Poor Brownie ! ye’ll ne’er do mair gude.

« Un manteau neuf ! un capuchon neuf ! Pauvre lutin ! vous ne ferez plus rien de bon. »

Le lutin, on le voit, voulait n’être aimé que pour lui-même. Une aventure du même genre était arrivée jadis dans le comté de Dumfries. Un lutin demeurait depuis trois cents ans au manoir de Liethin Hall. Ordinairement on ne voyait de lui que sa petite main, et ce n’était que dans les grandes occasions, pour rendre hommage aux seigneurs à leur avènement, qu’il se montrait tout entier. Dans le courant du quinzième siècle, il s’était attaché particulièrement à un de ces seigneurs qu’il avait vu successivement enfant, adolescent, jeune homme, homme mûr et enfin vieillard. Lorsque la fin de celui-ci approcha, le lutin, qui la voyait venir, fut pris d’un véritable chagrin : il ne touchait plus à rien de ce qu’on laissait pour lui à l’office. Le matin, quand on rangeait l’appartement, on retrouvait intact son souper, na-