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ni ami de la paresse, ni trop violemment désireux d’emploi. Il semblait continuer à la cour la routine de l’Université. Il avait plutôt la gaieté de l’esprit que celle du cœur ; il était bon compagnon, complaisant, courtois, discret, capable d’oublier et de pardonner une injure, incapable pourtant de se joindre jamais à ceux qui franchissent les bornes de la justice, de la vérité, de la décence…

» Imaginez-vous le prince tel que je vous l’ai peint ; son père meurt soudainement. L’ambition et l’amour du pouvoir ne sont pas les passions qui l’inspirent. Resté fils de roi, il eût été satisfait ; mais maintenant le voilà pour la première fois forcé de songer à la différence qui sépare un souverain d’un sujet. La couronne n’était pas héréditaire, et pourtant une plus longue occupation du trône par le père eût fortifié les prétentions d’un fils unique et assuré ses espérances de succession. Au lieu de cela, il se voit exclu par son oncle, en dépit de brillantes promesses, très-probablement pour toujours. Le voilà maintenant ruiné, disgracié, étranger sur la scène même qu’il regardait dès sa jeunesse comme son domaine héréditaire. Son caractère prend ici sa première teinte de tristesse. Il sent que maintenant il n’est pas plus, qu’il est moins qu’un simple seigneur : il se présente comme le serviteur de tous ; il n’est plus courtois et protecteur, il est besoigneux et dégradé. Il se souvient de sa condition passée comme d’un rêve évanoui. C’est vainement que son oncle essaye de le consoler, de lui montrer sa situation sous un autre point de vue. Le sentiment de son néant ne peut plus le quitter.

» Le second coup qui l’atteint l’a blessé, humilié plus profondément encore : c’est le mariage de sa mère. Le tendre et fidèle fils avait encore une mère quand son