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l’épousant elle s’est unie au meurtrier de son premier mari, et, quand Hamlet l’en accuse, elle lui jette ce cri : « Oh ! ne parle plus, Hamlet ! Tu tournes mes regards au fond de mon âme, et j’y vois des taches si noires et si tenaces que rien ne peut les effacer… Oh ! ne me parle plus ; ces paroles m’entrent dans l’oreille comme autant de poignards ; assez, mon doux Hamlet ! »

Cependant Hamlet ne veut pas se taire : « Repentez-vous, dit-il à sa mère, repentez-vous du passé !… Oh ! rejetez la pire moitié de votre cœur, vous n’en vivrez que plus pure avec l’autre. » Comme gage de repentir, il lui demande d’éviter le lit nuptial : « N’allez pas au lit de mon oncle… Abstenez-vous ce soir, et cela rendra plus aisée la prochaine abstinence. »

Mais la malheureuse ne veut pas même prendre l’engagement que son fils réclame d’elle et qu’elle n’aurait pas la force de tenir. Tout ce qu’elle lui promet, c’est de ne pas se laisser arracher par les caresses de l’autre le secret de ce qui vient de se passer :

« Sois sûr que, si les mots sont faits de souffle, et si le souffle est fait de vie, je n’ai pas de vie pour souffler mot de ce que tu m’as dit. »

Ainsi, dans le drame primitif, quand l’entrevue est terminée, la reine est la confidente active d’Hamlet ; dans le drame définitif, elle reste la complice silencieuse de Claudius. Ici, elle prend le parti de son fils ; là, elle garde le parti de son mari. Ici, c’est la mère qui l’emporte ; là, c’est la femme.

Dans le premier Hamlet, Gertrude, c’est encore la Géruthe de Belleforest ; dans le second, c’est presque la Clytemnestre d’Eschyle.

Qui ne reconnaît dans cette métamorphose la logique suprême du génie ? Si la reine, en épousant Claudius, ignorait le crime de celui-ci ; — si, mieux informée, elle