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oncques égaré de la vérité, lui répondit que le courtisan qu’il cherchait s’en était allé par les privés, là où suffoqué par les immondices du lieu, les pourceaux s’y rencontrant en avaient rempli leur ventre.

» On eût cru plutôt toute autre chose que ce massacre fait par Amleth : toutefois Fengon ne se pouvait assurer, et lui semblait toujours que ce fou lui jouerait quelque mauvais tour. Il l’eût volontiers occis, mais il craignait le Roi Rorique son aïeul, et qu’aussi il n’osait offenser la Reine mère du fou qu’elle aimait et caressait, quoiqu’elle montrât un grand crève-cœur de le voir ainsi transporté de son sens : ainsi voulant s’en dépêcher, il tâcha de s’aider du ministère d’un étranger et fit le Roi des Anglais le ministre du massacre de l’innocence simulée, aimant mieux que son ami souillât son renom avec une telle méchanceté que de tomber en infamie par l’exploit d’une si grande cruauté.

» Amleth, entendant qu’on l’envoyait en la Grande-Bretagne vers l’Anglais, se douta tout aussitôt de l’occasion de ce voyage ; pour ce, ayant parlé à la Reine, la pria de ne faire aucun signe d’être fâchée de ce départ, plutôt feignit d’en être joyeuse, comme déchargée de la présence de celui lequel bien qu’elle aimât, si mourait-elle de deuil le voyant en si piteux état, et privé de tout usage de raison : encore supplia-t-il la Reine qu’à son départ elle tapissât la Salle et affichât avec des clous les tapisseries contre le mur, et lui gardât ces tisons qu’il avait aiguisés par le bout, lorsqu’il disait qu’il faisait des sagettes pour venger la mort de son père ; enfin l’admonesta que, l’an accompli, elle célébrât ses funérailles, l’assurant, qu’en cette même saison elle le verrait de retour, et tel qu’elle serait contente et plus que satisfaite de son voyage. Auquel avec lui furent envoyés deux des fidèles ministres de Fengon, portant des lettres gravées