Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’être seul en la principauté, et obscurcir par ce moyen la mémoire des victoires de son frère, délibéra comme que ce fût, de le faire mourir, ce qui lui succéda assez aisément, nul ne se doutant de lui, et chacun pensant que d’un tel nœud d’alliance et de consanguinité ne pourrait jamais sortir autre chose que des effets pleins de vertu et courtoisie ; mais, comme j’ai dit, le désir de régner ne respecte sang et amitié et n’a souci aucun de vertu, voire il est sans respect ni révérence des lois ni de la majesté divine, s’il est possible que celui qui sans aucun droit envahit le bien d’autrui, ait quelque opinion de la divinité.

» Ainsi Fengon, ayant gagné secrètement des hommes, se sentant assez fort pour exécuter son entreprise, se rua un jour en un banquet sur son frère, lequel il occit autant traîtreusement comme cauteleusement ; il se purgea devant ses sujets d’un si détestable massacre : vu qu’avant que mettre sa main sanguinolente et parricide sur son frère, il avait incestueusement souillé la couche fraternelle, abusant de la femme de celui duquel il devait autant pourchasser l’honneur, comme il en poursuivait et effectua la ruine. Or, couvrit-il avec si grande ruse et cautelle, et sous un voile si fardé de simplicité, son audace et méchanceté, que, favori de l’honnête amitié qu’il portait à sa belle-sœur, pour l’amour de laquelle il se disait avoir ainsi puni son frère, que son péché trouva excuse à l’endroit du peuple, et fut réputé comme justice envers la noblesse. D’autant qu’étant Géruthe autant douce et courtoise que dame qui fût en tous les royaumes du Septentrion, et tellement que jamais n’avait tant soit peu offensé homme de ses sujets, soit du peuple ou des courtisans, ce paillard et infâme meurtrier calomnia le défunt d’avoir voulu occire cette dame, et que, s’étant trouvé sur le point qu’il tâchait de la massacrer, il avait