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Parmi les latins, les seuls qu’il pût étudier dans sa propre langue étaient des historiens encore : Salluste (traduit en 1557), César (en 1565), Justin (en 1564), Quinte-Curce (en 1561), Eutrope (en 1564). Ainsi William ne pouvait connaître l’antiquité que par douze écrivains dont pas un poëte ! — En revanche, la littérature moderne pouvait lui être plus familière. Si les chefs-d’œuvre de la vieille Grèce et de la vieille Rome lui manquaient, il pouvait du moins se rabattre sur les ouvrages récents importés d’Italie, d’Espagne ou de France : le Décaméron de Boccace, les romans de Sachetti, de Massuccio, de Sabadino, de Giraldi Cinthio, de Luigi da Porto, de Pierre Boisteau, tout nouvellement traduits. Quand, avec ces romans nous aurons cité quelques chroniques nationales, comme celles de Holinshed, de Hall et de Fox, nous aurons épuisé tout le catalogue que l’imprimerie offrait alors à Shakespeare.

Mais ce fonds intellectuel, si restreint déjà, était moins accessible au jeune poëte qu’à tout autre. N’oublions pas que William était le fils d’un petit bourgeois de Stratford, lequel était devenu si pauvre qu’en 1578 sa paroisse avait dû l’exempter de payer une taxe de quelques liards. Lui-même, selon le récit du biographe Aubrey, était obligé pour vivre d’aider son père dans l’exercice de son état de boucher. Il saignait lui-même les moutons ! Il était le bourreau des bêtes, lui, leur futur ami, l’auteur à venir de Comme il vous plaira ! — En 1583, à dix-neuf ans, Shakespeare était déjà marié et père de famille. Les charges du ménage devaient donc lui interdire les dépenses luxueuses de la pensée. C’est bien beau un livre, mais c’est bien cher. Avant de nourrir l’esprit, il faut nourrir le corps ; avant de garnir la bibliothèque, il faut garnir l’armoire. Avant d’acheter tel ou tel bouquin, il faut que notre pauvre Will voie si la robe de sa femme Anne n’est pas