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que ces éloges sont parfaitement sincères et expriment réellement l’opinion de Shakespeare. Pope, Dryden, et Warburton pensent, au contraire, que ces louanges sont ironiques, et que l’auteur d’Hamlet, en imaginant ces citations, a voulu faire une imitation dérisoire des tragédies emphatiques et boursoufflées qu’on jouait de son temps. Avons-nous besoin de dire, après avoir scrupuleusement traduit cette tirade classique, que nous partageons le sentiment de Pope et de Dryden ? Nous tenons cette tirade pour une parodie, et nous croyons que ce n’est pas sérieusement qu’Hamlet vante la simplicité d’une pièce écrite dans ce style :

« Pyrrhus est maintenant tout gueules : il est horriblement coloré du sang des mères, des pères, des filles, des fils, cuit et empâté sur lui par les maisons en flammes qui prêtent une lumière tyrannique et damnée à ces vils massacres, etc., etc. »

(13) Dans la belle traduction en vers de Paul Meurice, si habilement disposée pour la scène française par Alexandre Dumas, le célèbre monologue d’Hamlet est ainsi rendu :

… Être ou n’être pas, c’est là la question.
Que faut-il admirer ? la résignation
Subissant tes assauts, Fortune, et tes outrages ?
Ou la force s’armant contre une mer d’orages
Et les mettant à fin par la lutte ? — Mourir,
Dormir, et rien de plus ! et puis ne plus souffrir !
Fuir ces mille tourments pour lesquels il faut naître !
Mourir, dormir ! Dormir ! qui sait ? rêver peut-être !
Peut-être ?… ah ! tout est là ! quels rêves peupleront
Le sommeil de la mort, lorsque sous notre front
Ne s’agiteront plus la vie et la pensée ?
Ce mystère nous rive à la terre glacée !
Hé ! qui supporterait tant de honte et de deuil,
L’injure du tyran, les mépris de l’orgueil,
Les lenteurs de la loi, la cruelle souffrance
Que creuse dans le cœur l’amour sans espérance,
La lutte du génie et du vulgaire épais…
Quand un fer aiguisé donne si bien la paix ?
Qui ne rejetterait son lourd fardeau d’alarmes ?
Qui mouillerait encor de sueurs et de larmes
Son accablant chemin, — si l’on ne craignait pas
Quelque chose dans l’ombre au delà du trépas ?
Ce monde inexploré, ce pays qu’on ignore,
D’où n’a pu revenir nul voyageur encore,