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autres. Mais, hélas ! combien toutes les choses terrestres trahissent les pauvres mortels au milieu de leurs joies, nous l’avons éprouvé ce soir-là. La dame qui jouait le rôle de la reine de Saba devait apporter à leurs majestés les plus précieux présents ; mais n’ayant pas fait attention aux marches qui montaient à l’estrade royale, elle a renversé sa corbeille sur les genoux du roi de Danemark, et elle est tombée elle-même sur la tête aux pieds du roi. Celui-ci s’est alors levé et a essayé de danser avec la reine de Saba, mais il est tombé à son tour, et s’est humilié devant elle. On l’a transporté dans une chambre de l’intérieur et on l’a couché sur un lit royal qui n’a pas été peu pollué par les présents que la reine de Saba venait de jeter sur ses habits, — lesquels consistaient en vins, crèmes, boissons, gâteaux, épices et autres bonnes choses. — La représentation a continué et la plupart des acteurs sont venus en trébuchant ou sont tombés par terre : tant le vin occupait chez eux les cloisons supérieures ! Alors ont paru, en riches toilettes, la Foi, l’Espérance et la Charité : l’Espérance a essayé de parler, mais le vin avait tant affaibli ses moyens, qu’elle s’est retirée en priant le roi (Jacques Ier) d’excuser sa brièveté. La Foi restait alors toute seule, mais voyant que personne ne venait à son secours, elle a quitté la cour en chancelant. Sur ce, la Charité s’est jetée aux pieds du roi et a essayé de couvrir toutes les fautes que ses sœurs avaient commises ; c’est-à-dire qu’elle a fait acte de soumission et a apporté des présents au roi, puis elle a déclaré qu’elle s’en retournait chez elle, car le ciel avait tout donné déjà à sa majesté. Après quoi, elle a rejoint la Foi et l’Espérance qui toutes deux étaient malades… dans la salle d’en bas. Alors la Victoire, en brillante armure, est venue, et a essayé de présenter son compliment au roi dans un étrange galimatias versifié ! Mais la Victoire n’a pas triomphé longtemps, car, après sa lamentable apostrophe, on l’a emmenée comme une bête captive et on l’a couchée sur les marbres extérieurs de l’antichambre où elle s’est endormie. La Paix a fait alors son entrée et a tâché d’aller droit au roi : mais je ne saurais vous décrire la fureur qu’elle montrait contre ceux qui l’entouraient et la rudesse belliqueuse avec laquelle, oubliant son rôle, elle frappait de sa branche d’olivier les perruques de ceux qui s’opposaient à son passage. »

Dans une autre de ses lettres le filleul de la reine Élisabeth parle d’une soirée donnée à leurs majestés par le ministre Robert Cecil dans son château de Théobalds. Jacques Ier s’y soûla tellement que ses courtisans furent obligés de le porter dans son lit ; et quant à son hôte auguste, le roi de Danemark, il se trompa de chambre à cou-