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enveloppe la pensée du poëte de tant de circonlocutions, et si elle est restée si loin de l’original. Disons-le hautement, pour qu’une traduction littérale de Shakespeare fût possible, il fallait que le mouvement littéraire de 1830 eût vaincu, il fallait que la liberté qui avait triomphé en politique eût triomphé en littérature, il fallait que la langue nouvelle, la langue révolutionnaire, la langue du mot propre et de l’image, eût été définitivement créée. La traduction littérale de Shakespeare étant devenue possible, nous l’avons tentée. Avons-nous réussi ? Le lecteur en jugera.

Autre nouveauté. En consultant les éditions primitives de Shakespeare, nous avons reconnu que toutes les pièces publiées de son vivant ont d’abord paru sans cette division en cinq actes à laquelle elles sont aujourd’hui universellement soumises, et que cette division uniforme, si contraire au libre génie du grand Will, a été improvisée après sa mort par deux comédiens obscurs de l’époque. En comparant ainsi la bible shakespearienne aux reproductions qui en ont été faites plus tard, nous avons éprouvé en quelque sorte l’étonnement qu’avait ressenti Érasme en comparant l’Évangile grec à la Vulgate de saint Jérôme. Nous avons fait comme les protestants : plein d’une fervente admiration pour le texte sacré, nous en avons supprimé toutes les interpolations posthumes, et, au risque d’être taxé d’hérésie, nous avons fait disparaître dans notre édition ces indications d’actes qui rompaient arbitrairement l’unité profonde de l’œuvre.

Tout le monde sait que Shakespeare, dans ses drames, emploie alternativement les deux formes, le vers et la prose. Dans telle pièce, la prose et le vers se partagent également le dialogue ; dans telle autre, c’est la poésie qui domine ; dans telle autre, c’est la prose. Ici les lignes plébéiennes et comiques coudoient familière-