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puis-je espérer de toi — qui n’as d’autre revenu que ta bonne humeur — pour te nourrir et t’habiller ? À quoi bon flatter le pauvre ? — Non. Qu’une langue mielleuse lèche la pompe stupide ; — que les charnières fécondes du genou se ploient — là où il peut y avoir profit à flagorner ! Entends-tu ? — Depuis que mon âme tendre a été maîtresse de son choix — et a pu distinguer entre les hommes, sa prédilection — t’a marqué de son sceau : car tu as toujours été — un homme qui sait tout souffrir comme s’il ne souffrait pas, — un homme que les rebuffades et les faveurs de la fortune — ont trouvé également reconnaissant. Bienheureux ceux — chez qui le tempérament et le jugement sont si bien d’accord ! — Ils ne sont pas sous les doigts de la fortune une flûte — qui sonne par le trou qu’elle veut. Donnez-moi l’homme — qui n’est pas l’esclave de la passion, et je le porterai — dans le fond de mon cœur, oui, dans le cœur de mon cœur, — comme toi… Assez sur ce point. — On joue ce soir devant le roi une pièce — dont une scène rappelle beaucoup les détails — que je t’ai dit sur la mort de mon père. — Je t’en prie ! quand tu verras cet acte-là en train, — observe mon oncle avec toute la concentration de ton âme. — Si son crime occulte — ne s’échappe pas en un seul cri de sa tanière, — ce que nous avons vu n’est qu’un spectre infernal, — et mes imaginations sont aussi noires — que l’enclume de Vulcain. Suis-le avec une attention profonde. — Quant à moi, je riverai mes yeux à son visage ; — et, après, nous joindrons nos deux jugements — pour prononcer sur ce qu’il aura laissé voir.
HORATIO.

C’est bien, monseigneur. — Si, pendant la représentation, il me dérobe un seul mouvement, — et s’il échappe à mes recherches, que je sois responsable du vol !