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HAMLET.

Fort bien… Suivez ce seigneur, et ayez soin de ne pas vous moquer de lui.

Sort le comédien.
À Rosencrantz et à Guildenstern.

Mes bons amis, je vous laisse jusqu’à ce soir : vous êtes les bienvenus à Elseneur.

ROSENCRANTZ.

Mon bon seigneur !

Rosencrantz et Guildenstern sortent.
HAMLET.

Oui, que Dieu soit avec vous ! Maintenant je suis seul. — Ô misérable rustre, maroufle que je suis ! — N’est-ce pas monstrueux que ce comédien, ici, — dans une pure fiction, dans le rêve d’une passion, — puisse si bien soumettre son âme à sa propre conception, — que tout son visage s’enflamme sous cette influence, — qu’il a les larmes aux yeux, l’effarement dans les traits, — la voix brisée, et toute sa personne en harmonie — de formes avec son idée ? Et tout cela, pour rien ! — pour Hécube ! — Que lui est Hécube, et qu’est-il à Hécube, — pour qu’il pleure ainsi sur elle ? Que ferait-il donc, — s’il avait les motifs et les inspirations de douleur — que j’ai ? Il noierait la scène, dans les larmes, — il déchirerait l’oreille du public par d’effrayantes apostrophes, — il rendrait fous les coupables, il épouvanterait les innocents, — il confondrait les ignorants, il paralyserait — les yeux et les oreilles du spectateur stupéfait ! — Et moi pourtant, — niais pétri de boue, blême coquin, — Jeannot rêveur, impuissant pour ma propre cause, — je ne trouve rien à dire, non, rien en faveur d’un roi — à qui l’on a pris son bien et sa vie si chère — dans un guet-apens damné ! Suis-je donc un lâche ? — Qui veut m’appeler manant ? me fendre la caboche ? — m’arracher la barbe et me la