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REYNALDO.

— Monseigneur, il y aurait là de quoi le déshonorer !

POLONIUS.

— Non, en vérité ; si vous savez tempérer la chose dans l’accusation. — N’allez pas ajouter à sa charge — qu’il est débauché par nature ; — ce n’est pas là ce que je veux dire : mais effleurez si légèrement ses torts, — qu’on n’y voie que les fautes de la liberté, — l’étincelle et l’éruption d’un cerveau en feu, — et les écarts d’un sang indompté, — qui emporte tous les jeunes gens.

REYNALDO.

Mais, mon bon seigneur…

POLONIUS.

— Et à quel effet devrez-vous agir ainsi ?

REYNALDO.

C’est justement, monseigneur, — ce que je voudrais savoir.

POLONIUS.

Eh bien, mon cher, voici mon but, — et je crois que c’est un plan infaillible. — Quand vous aurez imputé à mon fils ces légères taches — qu’on verrait chez tout être un peu souillé par l’action du monde, — faites bien attention ! — si votre interlocuteur, celui que vous voulez sonder, — a jamais remarqué aucun des vices énumérés par vous — chez le jeune homme dont vous lui parlez vaguement, — il tombera d’accord avec vous de cette façon : — Cher monsieur, ou mon ami, ou seigneur ! — suivant le langage et la formule, — adoptés par le pays ou par l’homme en question.

REYNALDO.

Très-bien, monseigneur.

POLONIUS.

— Eh bien, donc, monsieur, alors il… alors… Qu’est-ce que j’allais dire ? — J’allais dire quelque chose : où en étais-je ?