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pas bientôt mourir, si je croyais ta vie plus forte que ta honte, je viendrais à l’arrière-garde de tes remords pour trancher ta vie. – Je m’affligeais de n’avoir qu’une enfant… Je reprochais à la nature son avarice ! – Oh ! j’ai trop d’une fille : pourquoi ai-je une fille ? Pourquoi fus-tu jamais aimable à mes yeux ? – Pourquoi d’une main charitable n’ai-je pas recueilli à ma porte l’enfant de quelque mendiant ? Si elle se fût ainsi souillée et plongée dans l’infamie, j’aurais pu dire : « Ce n’est point une portion de moi-même. Cette infamie est dérivée de reins inconnus. » Mais ma fille, elle que j’aimais ; ma fille, que je vantais ; ma fille dont j’étais fier, au point que m’oubliant moi-même, je n’étais plus rien pour moi-même et ne m’estimais plus qu’en elle… Oh ! elle est tombée dans un abîme d’encre ! Tous les flots de l’Océan entier ne pourraient pas la laver, ni tout le sel qu’il contient rendre la pureté à sa chair corrompue !

BÉNÉDICK. — Seigneur, seigneur, modérez-vous ; pour moi, je suis si pétrifié d’étonnement, que je ne sais que dire.

BÉATRICE. — Oh ! sur mon âme, on calomnie ma cousine.

BÉNÉDICK. — Madame, partagiez-vous son lit la dernière nuit ?

BÉATRICE. — Non, je l’avoue ; non, quoique jusqu’à la dernière nuit j’aie été depuis un an sa compagne de lit.

LÉONATO. — Confirmation, confirmation ! Oh ! les voilà plus fortes encore ces preuves déjà revêtues de barres de fer ! Les deux princes voudraient-ils mentir ? Claudio aurait-il menti, lui qui l’aimait tant, qu’en parlant de son indignité il la lavait de ses larmes ? – Écartez-vous d’elle, laissez-la mourir.

LE MOINE. — Écoutez-moi un moment. Je n’ai gardé si longtemps le silence et n’ai laissé un libre cours à la marche de la fortune, que pour observer la jeune personne. J’ai remarqué que mille fois la rougeur couvrait son visage, et mille fois la honte de l’innocence remplaçait cette rougeur par une pâleur céleste ! Un feu a éclaté dans ses yeux, pour brûler les soupçons que les princes