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BÉATRICE. — On ne le voit pas assez ; vous devriez le porter sur votre bonnet. – Sérieusement je suis malade.

MARGUERITE. — Procurez-vous un peu d’essence de carduus benedictus[1] et appliquez-la sur votre cœur : c’est le seul remède pour les palpitations.

HÉRO. — Tu la piques avec un chardon.

BÉATRICE. — Benedictus ? Pourquoi benedictus, s’il vous plaît ? Vous cachez quelque moralité[2] sous ce benedictus.

MARGUERITE. — Moralité ? Non, sur ma parole, je n’ai point d’intention morale. Je parle tout bonnement du chardon bénit. Vous pourriez croire par hasard que je vous soupçonne d’être amoureuse : non, par Notre-Dame, je ne suis pas assez folle pour penser ce que je veux, et je ne veux pas penser ce que je peux, et je ne pourrais penser, quand je penserais à faire perdre la pensée à mon cœur, que vous êtes amoureuse, que vous serez amoureuse ou que vous pouvez être amoureuse. Cependant, jadis Bénédick fut naguère tout de même, et maintenant le voilà devenu un homme. Il jurait de ne se marier jamais, et pourtant, en dépit de son cœur, il mange son plat sans murmure[3]. À quel point vous pouvez être convertie, je l’ignore ; mais il me semble que vous voyez avec vos yeux comme les autres femmes.

BÉATRICE. — De quel pas ta langue est partie !

MARGUERITE. — Ce n’est pas un galop du mauvais pied.

URSULE, accourt. — Vite, retirez-vous, madame : le prince, le comte, le seigneur Bénédick, don Juan et tous les jeunes cavaliers de la ville viennent vous chercher pour aller à l’église.

HÉRO, – Aidez-moi à m’habiller, chère cousine, bonne Ursule, bonne Marguerite.

(Elles sortent.)

  1. Allusion au nom de Bénédick.
  2. Moralité, la morale d’une fable, le sens caché d’un apologue.
  3. Proverbe.