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ne vois-tu pas quel voleur maladroit est la mode ?

UN GARDIEN. — Je connais ce La Mode, c’est un voleur depuis sept ans. Il s’introduit çà et là mis en gentilhomme ; je me rappelle son nom.

BORACHIO. — N’as-tu pas entendu quelqu’un ?

CONRAD. — Non, c’est la girouette sur le toit.

BORACHIO. — Ne vois-tu pas, dis-je, quel maladroit voleur est la mode ? Par quels vertiges elle renverse toutes les têtes chaudes, depuis quatorze ans jusqu’à trente-cinq ; parfois elle les affuble comme les soldats de Pharaon dans les tableaux enfumés, tantôt comme les prêtres du dieu Baal dans les vieux vitraux de l’église ; quelquefois comme l’Hercule rasé[1] dans la tapisserie fanée et rongée des vers, où son petit doigt semble aussi gros que sa massue ?

CONRAD. — Je vois tout cela, et que la mode use plus d’habits que l’homme. Mais n’es-tu pas entraîné toi-même par la mode, en t’écartant de ton récit pour me parler de la mode ?

BORACHIO. — Nullement. Mais sache que cette nuit j’ai courtisé Marguerite, la suivante de la signora Héro, sous le nom d’Héro ; elle m’a tendu la main par la fenêtre de la chambre de sa maîtresse, et m’a dit mille fois adieu ! – Je raconte cela horriblement mal. J’aurais dû d’abord te dire que le prince, Claudio et mon maître, placés, postés et prévenus par mon maître don Juan, ont vu de loin, du verger, cette entrevue amoureuse.

CONRAD. — Et ils croyaient que Marguerite était Héro ?

BORACHIO. — Deux d’entre eux l’ont cru, le prince et Claudio. Mais mon démon de maître savait que c’était Marguerite. D’un côté, grâce à ses serments qui les ont d’abord séduits ; de l’autre, grâce à la nuit obscure qui les a déçus, mais surtout à mon manège qui confirmait toutes les calomnies inventées par don Juan, Claudio est parti plein de rage, jurant d’aller la joindre demain matin au temple à l’heure marquée, et là, devant toute l’assemblée, de la déshonorer par le récit de ce qu’il a

  1. Pharaon, Hercule, personnages de tapisseries.