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LUCIANA.—Jalousie qui se déchire elle-même ! Fi donc ! chassez-la d’ici.

ADRIANA.—Des folles insensibles peuvent seules supporter de pareils torts. Je sais que ses yeux portent ailleurs leur hommage ; autrement, quelle cause l’empêcherait d’être ici ? Ma sœur, vous le savez, il m’a promis une chaîne.—Plût à Dieu que ce fût la seule chose qu’il me refusât ! il ne déserterait pas alors sa couche légitime. Je vois que le bijou le mieux émaillé perd son lustre ; que si l’or résiste longtemps au frottement, à la fin il s’use sous le toucher ; de même, il n’est point d’homme, ayant un nom, que la fausseté et la corruption ne déshonorent. Puisque ma beauté n’a plus de charme à ses yeux, j’userai dans les larmes ce qui m’en reste, et je mourrai dans les pleurs.

LUCIANA.—Que d’amantes insensées se dévouent à la jalousie furieuse !


Scène II

Place publique.

Entre ANTIPHOLUS de Syracuse.

ANTIPHOLUS.—L’or que j’ai remis à Dromio est déposé en sûreté au Centaure, et mon esclave soigneux est allé errer dans la ville à la quête de son maître… D’après mon calcul et le rapport de l’hôte, je n’ai pu parler à Dromio depuis que je l’ai envoyé du marché… Mais, le voilà qui vient. (Entre Dromio de Syracuse.) Eh bien ! monsieur, avez-vous perdu votre belle humeur ? Si vous aimez les coups, vous n’avez qu’à recommencer votre badinage avec moi. Vous ne connaissiez pas le Centaure ? vous n’aviez pas reçu d’argent ? votre maîtresse vous avait envoyé me chercher pour diner ? mon logement était au Phénix ? —Aviez-vous donc perdu la raison pour me faire des réponses si extravagantes ?

DROMIO.—Quelles réponses, monsieur ? Quand vous ai-je parlé ainsi ?

ANTIPHOLUS.—Il n’y a qu’un moment, ici même ; il n’y a pas une demi-heure.