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morte, car son médecin m’a dit qu’elle avait fait des expériences sans fin sur les genres de mort les plus faciles. (Aux gardes.) Enlevez-la dans son lit, et emportez ses femmes de ce tombeau. Elle sera ensevelie auprès de son Antoine, et nulle tombe sur la terre n’aura renfermé un couple aussi fameux. D’aussi grandes catastrophes frappent ceux qui en sont les auteurs ; et la pitié qu’inspire leur histoire rendra leur nom aussi célèbre que celui du vainqueur qui les a réduits à cette extrémité. — Notre armée, dans une pompe solennelle, suivra leur convoi funèbre, et après cela, à Rome ! Dolabella, ayez soin que le plus grand ordre préside à cette solennité[1]

  1. Plusieurs poëtes ont travaillé le sujet d’Antoine et Cléopâtre pour le théâtre. Parmi les pièces anglaises, après celle de Shakspeare, la plus remarquable est la tragédie de Dryden : All for love or the World well lost. Elle a plus de régularité, plus d’égalité dans la diction. On y trouve d’excellentes scènes détachées, et des morceaux de la plus belle poésie : mais il s’en faut bien qu’on y rencontre le feu de l’action, le caractère distinctif des personnages et de leur expression, ou ces sublimes beautés qui caractérisent le vrai génie dramatique. Dryden avoue lui-même qu’il a imité le divin Shakspeare dans son style ; en conséquence il s’est écarté comme lui de sa méthode ordinaire d’écrire en vers rimés. On distingue aussi dans plus d’un endroit ces imitations, et le lecteur qui connaît un peu Shakspeare aperçoit tout de suite les passages imités de plusieurs de ses tragédies. Dryden se flatte, par cette imitation, de s’être surpassé dans cette pièce, que les critiques anglais reconnaissent pour être la meilleure qu’il ait faite.

    L’action commence après la bataille d’Actium, qui fut si funeste à Antoine. Cléopâtre cherche à le distraire par les ressources du luxe, et par les divertissements qu’elle a ordonnés pour célébrer le jour de sa naissance. Une des plus belles scènes du premier acte, à laquelle Dryden lui-même donne la préférence sur toutes celles qu’il ait jamais faites, c’est la scène entre Antoine découragé et presque désespéré, et son ami, le vertueux et brave Ventidius, qui lui reproche ses débauches et sa passion pour le plaisir. D’abord il s’attire l’indignation d’Antoine, qui cependant revient insensiblement au sentiment de reconnaissance qu’il doit aux vertueuses intentions de son ami, et qui prend la résolution de redevenir un homme et un héros, en hasardant une nouvelle tentative contre Octave.

    Cléopâtre, au commencement du second acte, est extrêmement inquiète et mécontente de ce qu’Antoine veut l’abandonner. Elle