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ACTE IV, SCÈNE XII.

Antoine.

Loin de moi, eunuque insolent ; tais-toi. Elle m’a trahi, il faut qu’elle meure.

Mardian.

La mort est une dette que chacun ne peut payer qu’une fois, et elle l’a déjà acquittée. Ce que vous vouliez faire est fait ; elle a prévenu votre bras ; et le dernier mot qu’elle a prononcé, c’est : Antoine, généreux Antoine ! Elle a voulu encore prononcer votre nom, mais un dernier gémissement l’a laissé à moitié prononcé entre ses lèvres et son cœur ; elle a expiré avec votre nom enseveli dans son sein.

Antoine.

Elle est morte ?

Mardian.

Morte.

Antoine.

Éros, ôte-moi mon armure : la tâche de la longue journée est finie, et il est temps de dormir. Tiens-toi pour bien payé de ton message, puisque tu sors vivant de ces lieux. Va-t’en. (Mardian sort.) Ôte-moi cette armure, le septuple bouclier d’Ajax ne peut comprimer les battements de mon cœur. Ô mes flancs ! brisez-vous ; toi, mon cœur, sois une fois plus fort que la chair qui t’emprisonne. — Dépêche, Éros, dépêche. Je ne suis plus un guerrier. — Débris de mon armure, allez loin de moi, vous avez été portés avec honneur. — Laissez-moi seul un moment. — (Éros sort.) Ô Cléopâtre ! je vais te rejoindre, et implorer ton pardon par mes larmes. Allons, il faut finir, tout délai est un nouveau supplice. Puisque la torche est éteinte, couchons-nous et n’allons pas plus loin. Maintenant toute résistance serait inutile, et nuirait au lieu de servir. La force s’embarrasse de ses propres efforts ; apposons notre sceau, et tout est fini. — Éros ! — Je viens, ô ma reine ! — Éros ! — Attends-moi dans ces lieux, où les ombres reposent sur les fleurs. Là, les mains dans les mains, nous fixerons sur nous les regards des ombres attirées par l’héroïque majesté de nos mânes. Didon et son Énée verront leur cour déserte, et toute la foule nous suivra. — Éros ! Viens donc !

(Éros paraît.)
Éros.

Que veut mon maître ?

Antoine.

Depuis que Cléopâtre n’est plus, j’ai vécu avec tant de déshonneur que les dieux abhorrent ma