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ACTE III, SCÈNE IX.

Antoine.

J’ai porté un coup mortel à ma réputation ! le coup le plus lâche…

Éros.

Seigneur, la reine…

Antoine.

Ô Égyptienne, où m’as-tu conduit ? Vois, je cherche à dérober mon ignominie à tes yeux, en jetant mes regards en arrière, sur ce que j’ai laissé derrière moi, plongé dans le déshonneur.

Cléopâtre.

Ah ! seigneur, seigneur, pardonnez à mes timides vaisseaux ; j’étais loin de prévoir que vous me suivriez.

Antoine.

Égyptienne, tu savais trop bien que mon cœur était attaché au gouvernail de ton vaisseau, et que tu me traînerais à la remorque. Tu connaissais ton empire absolu sur mon âme, et tu savais qu’un signe de toi m’eût fait désobéir aux ordres des dieux mêmes.

Cléopâtre.

Oh ! pardonne-moi !

Antoine.

Maintenant il faut que j’envoie d’humbles propositions à ce jeune homme. Il faut que je supplie, que je rampe dans tous les détours de l’humiliation ; moi qui gouvernais, en me jouant, la moitié de l’univers, qui créais et anéantissais, à mon gré, les fortunes ! Tu savais trop à quel point tu avais asservi mon âme, et que mon épée, affaiblie par ma passion, lui obéirait toujours.

Cléopâtre.

Oh ! pardon.

Antoine.

Ah ! ne pleure pas ; une seule de tes larmes vaut tout ce que j’ai jamais pu gagner ou perdre : donne-moi un baiser, il me paye de tout. — Nous avons envoyé notre maître d’école[1]. — Est-il de retour ? — Ma bien-aimée, je me sens abattu. Un peu de vin là-dedans et quelques aliments. — La fortune sait que plus elle me menace, et plus je la brave.

  1. Euphronius.