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ACTE III, SCÈNE VI.

à Rome comme une vendeuse de marché : vous avez prévenu les démonstrations de notre amitié, ce sentiment qui s’éteint souvent si on néglige de le témoigner. Nous aurions été à votre rencontre par mer et par terre, et à chaque pas nous aurions redoublé d’éclat.

Octavie.

Mon bon frère, rien ne me forçait à revenir ainsi : je n’ai fait que suivre mon libre penchant. Mon époux, Marc-Antoine, ayant appris que vous vous prépariez à la guerre, a affligé mon oreille de cette fâcheuse nouvelle ; et moi aussitôt je l’ai prié de m’accorder la liberté de revenir vers vous.

César.

Ce qu’il vous a accordé sans peine : vous étiez un obstacle à ses débauches.

Octavie.

N’en jugez pas ainsi, seigneur.

César.

J’ai les yeux sur lui, et les vents m’apportent des nouvelles de toutes ses démarches. Où est-il maintenant ?

Octavie.

À Athènes, seigneur.

César.

Non, ma sœur, trop indignement outragée, Cléopâtre, d’un coup d’œil, l’a rappelé à ses pieds. Il a abandonné son empire à une prostituée, et maintenant ils s’occupent tous deux à soulever contre moi tous les rois de la terre. Il a rassemblé Bocchus, roi de Libye ; Archélaüs, roi de Cappadoce ; Philadelphe, roi de Paphlagonie ; le roi de Thrace, Adellas ; Malchus, roi d’Arabie ; le roi de Pont ; Hérode, de Judée ; Mithridate, roi de Comagène ; Polémon et Amintas, rois des Mèdes et de Lycaonie ; et encore une foule d’autres sceptres !

Octavie.

Hélas ! que je suis malheureuse d’avoir le cœur partagé entre deux hommes que j’aime et qui se haïssent !

César.

Soyez ici la bienvenue. Vos lettres ont retardé longtemps notre rupture : jusqu’à ce que je me sois aperçu à quel point vous étiez abusée, et combien une plus longue négligence devenait dangereuse pour moi. Consolez-vous ; ne vous agitez pas des circonstances qui amènent sur votre bonheur ces terribles nécessités, et laissez les invariables décrets du destin suivre leur cours, sans vous répandre en gémissements. Rome vous reçoit